Joseph Swensen, Orchestre National du Capitole de Toulouse Halle aux Grains – 1er avril 2011
Ainsi le cycle Mahler débuté en 2002, poursuivi très honorablement depuis avec des moments forts, se terminait le 1 avril, par sa dernière symphonie achevée en 1909, et mise au net en avril 1910, la Neuvième. Et là tout se complique car on ne peut aller vers cette œuvre déchirante, amère, simplement en essayant de jouer le mieux possible la partition, presque scolairement.
Il faut un grand engagement personnel et un orchestre en fusion. Ce ne fut pas le cas ni d’un côté ni de l’autre.
Pour avoir assisté à Toulouse à deux autres exécutions, l’une sublime avec Lorin Maazel et l’orchestre de la Radio de Bavière, et l’autre très inégale mais habitée par Michel Plasson et le même orchestre, cette troisième écoute laisse plus que perplexe que cela soit dans l’interprétation très passive la plupart du temps, et dans la réalisation orchestrale où seuls les cordes et les bois surent émouvoir.
Certes le fait que près de 1800 personnes aient pu entendre cette symphonie est déjà positif, et Mahler jamais lui ne l’entendit, mais pour les amoureux de cette œuvre, ce concert est inaccompli, porteur de frustration devant tant de contresens sur la signification de cette musique. Toute sa modernité, son adieu au monde, la mort d’une culture occidentale que la grande guerre à venir va sceller, doivent être dits, murmurées souvent, hurlées parfois, mais pas ânonnées.
«Cette symphonie est une présentation sonore de la mort elle-même qui paradoxalement nous ranime chaque fois que nous l’entendons» (Léonard Bernstein). On en est si loin.
Le premier mouvement, Andante Comodo, où « la mort s’avance » certes, mais pas avec les gros sabots utilisés ici, est le plus décourageant. Passivité du chef d’orchestre trop occupé à donner la battue sans galvaniser son orchestre, ni soigner les entrées et les dialogues des instruments, limites de l’orchestre surtout avec des cuivres criards et sans nuances aucune. Ce mouvement qui stupéfia Alban Berg par sa modernité, par sa morbidité se déroule platement. Ce mélange de silence qui s’installe, de soubresauts de vie qui doit faire sangloter l’orchestre ne doit pas être ce long fleuve tranquille et ennuyeux.
Le deuxième mouvement a l’apparence d’un scherzo basé sur des danses viennoises (ländler), mais il doit être non pas charmant mais cinglant empli d’une ironie amère. Certes le chef semble plus concerné et daigne s’occuper de l’orchestre, mais les déchirures voulues par Mahler qui règle son compte à la conformité viennoise sont absentes, et les nuances évanouies.
Le troisième mouvement doit être un cri ironique désespéré préfigurant Chostakovitch. L’humour noir avec ses échanges étranges entre pupitres est à peine esquissé. Où est la révolte ? Où est le grotesque ?
Le côté panique de ces deux mouvements centraux n’est pas rendu.
Le dernier mouvement, est celui « de la douleur au monde », (Weltschmerz).
Dans un adagio qui va vers l’évanouissement sonore, Mahler donne son congé au monde. C’est, malgré encore trop d’attaques trop fortes, le sommet de l’interprétation de ce concert avec un chef enfin concerné pour les quinze dernières minutes, et des cordes en majesté (ah le pupitre des altos !). Enfin le véritable visage de la Neuvième apparaît et semble agir sur le public qui réserva un accueil triomphal à « l’exécution », cela en fut une effectivement parfois.
Ce long travail de dislocation qui doit être rendu pas à pas dans l’interprétation, advient seulement ici. On ne peut vouloir jouer le jeu de l’intériorité dans une telle musique, qui est aussi la représentation d’une catastrophe en musique. Il semble d’ailleurs que plus que de l’intériorité, il n’y ait que du refus d’agir sur cette musique. Ce soir Sokhiev manquait cruellement.
Comme le paradis Mahler n’est pas fait pour les tièdes !
«Je l’ai écrite aveuglément pour me libérer et on y trouve quelque chose que j’avais depuis longtemps en moi» (Mahler août 1909).
Cette Neuvième aura été jouée aveuglément, mais nous n’y avons pas retrouvé ce que Mahler a si longtemps porté en lui.
Gil Pressnitzer
Ps : pour une analyse de cette œuvre voir le lien Mahler Neuvième