Le chef Joseph Swensen aborde la fin de son cycle “Mahler“ débuté en juin 2002 avec l’Orchestre National du Capitole. Près de quatre-vingts minutes pour une œuvre purement instrumentale, pour grand orchestre. Un magnifique défi à relever.
De Dimitri Mitropoulos à Pierre Boulez, en passant par Sir John Barbirolli, Otto Klemperer, ou Karl Ancerl, ou Bruno Walter, sans oublier Leonard Bernstein, Herbert von Karajan, tous les grands interprètes de Gustav Mahler ont été fascinés par sa Neuvième Symphonie. « Cette œuvre est la dernière qu’il est achevée : je la considère aussi comme la plus grande », proclamait à la fin de sa vie Klemperer, proche du compositeur dans sa jeunesse. « Un intense bouleversement spirituel l’a inspirée : le départ est proche », devinait Bruno Walter, un familier de Mahler lui aussi, et le créateur de cette œuvre à Vienne, le 26 juin 1812, plus d’un an après la mort prématurée du compositeur, à cinquante et un ans.
Mais c’est sans doute Leonard Bernstein qui, dans ses conférences à Harvard, en 1976, en a le mieux parlé. « Le destin de Gustav Mahler a été de récapituler l’histoire de la musique austro-allemande, d’en faire un paquet attaché non par un joli ruban, mais par un nœud affreux fait de ses nerfs. » Mu par une sorte de pressentiment de la mort, cette symphonie constitue un douloureux legs testamentaire. Elle sonne en effet comme un “adieu“ – Der Abschied, titre du dernier mouvement de l’œuvre immédiatement antérieure, Le chant de la terre. Un triple adieu, à la vie, à la tonalité, et à la culture classique. Un arrangement énigmatique si l’on suit Bernstein qui proclame mystérieusement : « Notre siècle est le siècle de la mort, et Mahler est son prophète musical ».
La Neuvième délivre donc une sorte d’évangile funèbre en quatre mouvements parcourus par une pensée polyphonique permanente, synonyme de pensée simultanée sur plusieurs plans. Les mouvements sont étrangement répartis : deux lents, le premier et le dernier ; et les plus longs, vingt-cinq minutes environ chacun ! et deux plus vifs au centre. Véritable testament spirituel, la fin du dernier adagio sombre dans une prostration éplorée particulièrement saisissante – un lamento d’une lenteur de plus en plus paralysante, comme si le son allait s’immobiliser, figé dans la glace d’un grand silence réfrigérant. « Disloquée, évidée, cette fin des fins, conclut Pierre Boulez, dissout la notion préétablie de forme, comme la notion préexistante de genre, ouvrant la voie à l’esthétique composite d’Alban Berg comme à la rénovation puritaine d’Anton Webern ».
Michel Grialou
P.S : Si les premiers applaudissements pouvaient attendre que le chef d’abord, après une telle débauche d’énergie, ait pu reprendre son souffle, et retrouvé un peu d’énergie pour redresser la tête, nous serions comblés !
Vendredi 1er avril à la Halle aux Grains – 20h.