Quatre saisons ou le miroir de la middle class britannique
Reparti totalement bredouille de la dernière compétition cannoise, le dernier opus de Mike Leigh remplit aujourd’hui les salles et fait l’objet de véritables dithyrambes toute presse confondue. .. Y aurait-il quelque chose de pourri au royaume du 7ème art ?
En vérité, nous voici face à un véritable monument de sensibilité et d’émotion, de justesse et de compassion. Pour être issu de la classe moyenne britannique, Mike Leigh connaît mieux que quiconque les personnages qui le peuplent. Il les met en scène ici avec leurs forces et leurs faiblesses. Avec un talent souverain, il découpe son film en quatre parties, chacune correspondant à une saison, chacune ayant son « héros », sa couleur, son tempo, son histoire aussi. Un fil rouge cependant, le couple Tom et Gerri. La cinquantaine sonnée mais toujours au travail, ils rient depuis longtemps des amusantes allusions qu’inspirent leurs deux prénoms accolés. Véritables paradigmes du soixanthuitard, ils cultivent un jardin ouvrier avec un amour réel pour la nature. Ils ont un fils, Joe, toujours célibataire, et forment une famille formidablement unie, rayonnante de bonheur et de complicité. A un tel point qu’ils sont devenus de véritables bouées de sauvetages pour un certain nombre de leurs amis, moins chanceux dans la vie et ne trouvant que dans l’alcool un maigre et illusoire réconfort. Au premier rang de ceux-ci, il y a Mary. Cette collègue de Gerri vit des liaisons sentimentales plus que dissolues, se raconte en permanence des histoires pour finalement se retrouver seule à vider sa bouteille de vin pour se consoler de son isolement. Assoiffée de câlins, elle ira jusqu’à draguer ouvertement ce pauvre Joe devant les yeux devenus soudain d’un noir d’encre de la maman outragée. Fidèle actrice de Mike Leigh, c’est son neuvième film avec ce réalisateur, Lesley Manville (Mary) irradie littéralement les nombreuses scènes qu’elle écrase objectivement de sa présence, particulièrement celle au cours de laquelle elle vient pour la ixième fois trouver refuge chez ses amis, absents, et où elle se heurte à un vieil homme que ces derniers hébergent pour quelques temps. L’humour se glisse dans les plis du pathétique et nous vaut une séquence d’anthologie. Nous croiserons aussi un gros homme ne vivant que pour manger, fumer et boire, ce qu’il fait avec une gloutonnerie effrayante, tenant plus de l’addiction que du comportement raisonné. Il y aura dans cette galerie l’inévitable neveu indigne, celui qui arrivera en retard à l’enterrement de sa mère, boule de violence à peine contenue face à son père, taiseux définitif qui cependant retrouvera quelques goûts à la vie d’une façon particulièrement inattendue. Tout ce monde d’éclopés gravite autour de Tom et Gerri, à la recherche de chaleur, d’amour, d’un regard. Et devant une telle attente, une telle demande, la question se pose : jusqu’où peut-on aller pour secourir son prochain ? L’Homme n’a-t-il pas de limites, même en ce domaine ? Le parfait équilibre tant envié de Tom et de Gerri n’est-il pas parfois en péril ? Mike Leigh ne fournit pas la réponse mais vous laissera sur un plan final qui en dit long sur l’isolement dans lequel peut être précipitée toute personne en état de fragilité.
Certainement l’un des meilleurs films à l’affiche en ce début d’année 2011.
Robert Pénavayre
Mike Leigh, le poil à gratter de l’Angleterre contemporaine
Ce fils de médecin et petit-fils d’un peintre miniaturiste devra attendre l’âge de 53 ans pour accéder à la consécration suprême cannoise. Ce sera Secrets et mensonges (1996). Mais c’est trois ans auparavant qu’il avait connu la reconnaissance internationale en présentant Naked sur la croisette (Prix de la Mise en scène et Prix d’Interprétation masculine pour David Thewlis). Lui qui se destinait à la carrière d’acteur va finalement écrire quelques-uns des plus beaux rôles du 7ème art contemporain. Son premier opus (Bleak moments, 1971) nous révélait déjà un cinéaste avide de filmer la quête du bonheur. La suite, nous la connaissons tous, elle a pris la forme d’une galerie de portraits au vitriol de la société britannique actuelle. Toujours avec justesse et sans jamais flirter avec la moindre trivialité. C’est ça le grand art !