Alba et Langhe pleurent la mort prématurée du chanteur-compositeur-interprète Gianmaria Testa. Il est parti tranquillement dit le communiqué de presse…
Il avait 57 ans seulement ; il aurait pu vivre encore un peu, comme le chantait Jean Ferrat pour un ami dans un de ses derniers disques:
Tu aurais pu vivre encore un peu
Pour notre bonheur pour notre lumière
Avec ton sourire avec tes yeux clairs
Ton esprit ouvert ton air généreux
« Le cantatore des paysans et des migrants est mort » a titré de son côté le quotidien italien La Reppublica. Mais il était bien plus que cela.
Avec lui disparait une personnalité incontournable de la musique italienne par la qualité de l’écriture et de la mise en musique; il était l’un de ces cantautori inoubliables, Fabrizio de André, Lucio Dalla, Lucio Battisti etc.
Gianmaria Testa (1) faisait partie de ces rares auteurs-compositeurs-interprètes dont la voix et la poésie (même s’il se refusait ce qualificatif renvoyant à Ugo Foscolo par exemple) nous prennent « à bras le cœur ». Même si l’on ne comprend pas l’italien…
Je l’avais rencontré à la Salle Nougaro (grâce à Gil Pressnitzer encore, merci Gil encore), retrouvé à la Mounède avec mia seconda Mamma Romana qui l’aimait tant (comme tant de piémontais et d’italiens en exil devenus français à part entière), puis à nouveau en 2003 sur la scène de la Salle Nougaro pour un hommage collectif à Léo Ferré, accompagné par l’excellent Alain Bréhéret au piano, il avait chanté 3 chansons dont les Poètes et les Forains, si mes souvenirs sont bons.
Il est né le 17 Octobre 1958 à Cavallermaggiore dans le Piémont, mais a longtemps vécu dans les Langhe, où les vignes qui enluminent le paysage produisent de si bons vins blancs, son péché mignon. On se souvient de sa victoire, en 1993, au premier prix au Festival de Recanati, où a débuté sa « carrière » heureuse, qui l’a vu publier huit disques, donner plus de 3000 concerts en France, Italie, Allemagne, Autriche, Belgique, Canada, États-Unis et au Portugal.
Acclamé en France, où il a rencontré ses premiers succès internationaux, Gianmaria a conquis le public en Europe, grâce à sa voix chaude et voilée (comme celle d’un chanteur de blues), ses sonorités douces et fines, sa tendresse, sa mélancolie, grâce à la poésie diaphane de ses textes, l’atmosphère intime et rêveuse évoquée par sa guitare, sa convivialité bonhomme….
Issu d’une famille paysanne, chef de gare à Cunéo pendant 25 ans, il a sillonné les routes européennes pour chanter sa poésie du quotidien et les petites gens chers à Pasolini. Il avait gardé de ses origines le bon sens terrien et ne se privait pas de « mettre les pieds dans la plat » quand quelque chose ne tournait pas rond et le révoltait.
Les protagonistes de ses paroles sont souvent les plus humbles : les agriculteurs, les maçons, les mendiants et les migrants, mais surtout les amoureux, amoureux de la vie, amoureux de l’amour…
Reste ses belles chansons, ses belles paroles, son beau parler et son beau silence.
Reste son souvenir d’homme droit, beau et bon, comme disaient les Grecs anciens.
« Dans mon pays, on ne peut pas dire que je sois grand public, disait-il, gentiment ironique. Les Italiens connaissent Brassens, Ferré, Brel, Aznavour, Gréco, mais n’écoutent pas leurs propres chanteurs à texte : chez nous, si tu ne passes pas à la télé, tu n’existes pas. »
« Pour mon père, chanter était un loisir de rentier. D’ailleurs, il ne respectait que le chant lyrique et il n’est venu me voir qu’une seule fois en concert. » Mais chez lui, on chantait souvent et son père lui a offert sa première guitare qu’il a toujours gardée.
Pas vraiment prophète en son pays, il a été découvert par la France, a reçu la consécration à l’Olympia, mais aussi dans les salles de province qu’il remplissait à chaque passage.
Au cours des dernières années, il avait collaboré, entre autres, avec Erri De Luca (qu’il avait soutenu sans faille dans le procès inique qui lui a été fait et pour lequel il a été relaxé). Son dernier album studio est « Vitamia » de 2011, qui avait été suivi par le live CD double « Hommes au travail » de 2013.
A chacun de ses concerts, il nous embarquait dans ses montgolfières de musique pour une odyssée sur la Méditerranée de nos cœurs, où nous croisons belles italiennes, poussières de rêves,… et migrants à la recherche d’un travail. « Aucun mur ne pourra arrêter ceux qui se déplacent à pied dans le monde ». « Tout le monde est le sud de quelqu’un. Demain, qui sait si nous ne devrons pas fuir à notre tour ? Les Italiens sont des migrants à l’origine, ils ont connu le rejet, avec les « ritals » pourchassés en France. Et donc encore moins que les autres, ils ont le droit d’être racistes. » Il reste toujours, hélas, totalement d’actualité à ce sujet.
Mais surtout Gianmaria nous parlait de bouche à oreille de toutes ces choses petites ou grandes qui font la vie, de ces petits bonheurs qui font le grand, à la manière d’un peintre impressionniste: La terre et la pluie, les amours naissantes ou malheureuses, les voyages réels ou imaginaires…
Remontons le temps au fil de ses disques, tous indispensables. Des moments de bonheur à déguster dans l’intimité ou entre amis ; et toujours avec une bonne bouteille de bon vin italien ! Un Barolo ou un Dolcetto d’Alba du Piémont par exemple. Je me rappelle d’avoir partagé avec lui dans la loge de la Salle Nougaro un Poggio ai Mori, un chianti classico que m’avait offert Marie Ferré. Car il ne faut pas oublier F. à Léo, son hommage à Léo Ferré, (italien par sa mère, qui a vécu en Toscane de 1970 à sa mort), où Gianmaria chante Les Forains, Les Poètes, Monsieur William, Avec le temps, sur ce jazz méditerranéen dont il avait le secret avec ses complices : Roberto Cipelli au piano, Paolo Fresu à la trompette, Philippe Garcia à la batterie, Attilio Zanchi à la contrebasse…
Vitamia. Dédié à son fils Nicola, un voyage de « 18000 jours », -soit 50 ans d’une vie, d’où le titre-, qui le ramènait toujours dans son pays natal, dans les vignes d’Alba ou dans les rues de Turin pour regarder la lune. Et écrire ses beaux textes pleins de poésie qu’il chantait avec sa voix de bluesman et son accent piémontais inimitable. On y trouve parfois les clins d’œil rock des guitares électriques de Claudio Dadone et Giancarlo Bianchetti, qui peuvent surprendre ses inconditionnels et qui pourtant ne devraient pas, tant ils sont en symbiose avec les cris du cœur de ce révolté de la tendresse.
Solo dal vivo. Enregistré en concert en 2008 à l’Auditorium de Rome, c’est la quintessence de son œuvre, saisie un jour de mai devant quelques amis et des inconnus venus comme à un rendez-vous d’amitié. Le son du bois de cerisier de la salle, voulu par l’architecte Renzo Piano, contribue à ce petit miracle de simplicité et de naturel: la poésie, la musique, un homme, une guitare, un verre de vin d’Alba.
Da Questa Parte Del Mare. Au marché de Porta Palazzo à Turin, le plus grand à ciel ouvert d’Europe où se mélangent les bons produits piémontais aux senteurs et aux goûts venus de toute l’Afrique et l’Asie, on rencontre toutes les nationalités, ils font la queue, garçons et filles, mais la police est là pour traquer les clandestins…
Sur la neige qui s’évaporait, il y en avait une femme accouchée par terre ; tout autour les autres femmes ont a fait cercle et elles ont posé le bébé sur l’étal des fleurs.. Vos papiers s’il vous plaît, « c’est un cas d’accouchement sur le sol public municipal » a dit l’agent de police… Mais personne n’a rien dit. Et la mère et l’enfant d’autres latitudes ont repris la mer de leur vie.
Altre Latitudini. Tu es le coquillage d’eau et de sel qui noie le rêve de se reposer et laisse des larmes qu’on n’essuie pas et qui vont à la mer…
Ce texte de son complice Pier Mario Giovannone, est l’un des rares que n’a pas écrit Gianmaria Testa, mais il lui correspond si bien, lui qui aimait tant la mer et les voyages, le coquillage qui revient au soleil, à la vague, au large et sur d’autres plages : chacun peut le ramasser et rêver avec lui pour un voyage personnel…
Lampo. Une lune ce soir à toucher avec vos mains qui Lentement, lentement, s’approche et se déroule du ciel comme une pelote de laine ; lune dans la soirée et sur les toits de Turin Tous les chats de gouttières jusqu’au petit matin vont fêter dans la nuit claire Biancaluna qui se promène…
Montgolfières. Elles laissent d’imperceptibles traces subtiles les trajectoires des montgolfières et l’homme qui observe le ciel ne sait plus si elles sont vraiment parties où si elles ont toujours été là. Nous aussi, les yeux au ciel contre le vent, nous avons essayé de les suivre et perdu les traces de leur vol dans les nuages dans l’après-midi. Mais qui sait où tout a commencé… (2)
Laissons partir ses montgolfières de rêve, et laissons partir Gianmaria, comme il le demandait dans Lasciami andare (3), en lui souhaitant bon voyage, Kenavo, comme disaient mes ancêtres marins bretons.
Arrivederci, au revoir, Gianmaria e buon viaggio.
Avec mes fils, nous continuerons à fredonner tes chansons. en t’écoutant ensemble.
Un abbraccio forte.
E.Fabre-Maigné
30-III-2016
Pour en savoir plus :
Gianmaria Testa Produzioni Fuorivia/Le Chant du Monde
(2) Le traiettorie delle mongolfiere
https://www.youtube.com/watch?v=phyZoKW0iO8
(3) Lasciami andare
https://www.youtube.com/watch?v=zm1Ku-bBfUo