Est-ce la Coupe du monde de rugby qui perturbe les esprits à ce point, mais l’homme qui déboule ne déparerait pas sur un terrain. L’engagement est tout autant spectaculaire, l’énergie déployée itou, un véritable géant galvanisant son équipe de quatre-vingt et quelques musiciens, les conduisant à se surpasser par une attention de tous les instants. Un grand moment de direction d’orchestre “in live“.
Oui, le jeune chef letton, qui dirigeait mercredi soir à la Halle est bien l’un des plus grands espoirs de la baguette. Mais, peut-on encore parler d’espoir après une telle prestation, venant après combien, toutes couvertes de louanges? Andris Nelsons, n’est-il pas déjà l’une des plus grandes baguettes de notre époque ? À l’âge, bientôt 33 ans, où les chefs en sont encore aux balbutiements, il fait preuve d’une stupéfiante maturité, alliant une grande technique à une personnalité musicale rayonnante, le tout animé d’une affabilité de chaque instant.
Il est l’illustration parfaite, déjà, de l’éternelle fracture entre ceux qui servent la musique et ceux qui s’en servent. Quand on demande à A.Nelsons comment il ressent le fait de donner des ordres à des musiciens bien plus âgés que lui, il répond très clairement: «Cela passe par un très grand respect de ces musiciens, mais il faut surtout qu’ils soient convaincus que ce que je leur demande n’est pas ce que je veux, moi, mais ce qu’exige la partition. Je ne dis pas “je veux”, mais “la musique veut”.» Mais, cela fait plaisir aussi d’entendre l’artiste, trompettiste et baryton, se dire préoccupé par l’ « atmosphère » de l’œuvre, une notion-clé pour ce musicien émotionnel qui cherche avant tout à créer des climats, sans hésiter à revendiquer une certaine naïveté. C’est pourquoi le voir au pupitre est une expérience visuelle autant que musicale, et certaines œuvres qu’il dirige, ne peuvent que le laisser épuisé, en nage, les jambes flageolantes..
Avec un guide de cette “trempe“, un chef si démonstratif, dont les gestes et le corps accompagnent la musique et les rythmes sur l’estrade, le City of Birmingham Symphony Orchestra ne peut que se transcender, tous pupitres confondus. Pareil pour le soliste Christian Telztaff qui nous a offert une magnifique interprétation du Concerto pour violon d’ Antonin Dvorak, avec justement cette “atmosphère “ si parfaitement rendue, et dans tous les mouvements. L’œuvre étant écrite pour que jamais le soliste ne soit couvert par l’orchestre, c’était idéal.
Quant à l’Ouverture des Maîtres Chanteurs de Nuremberg, ce fut du grand Wagner, une marche triomphale, « un scintillement savant de joyaux et de broderies antiques », n’en déplaise à Friedrich Nietzsche !
Faut-il discuter de l’interprétation de la 4ième de Tchaïkovski ? Cela me paraît inutile. Ce fut un très grand moment de musique, et pour les oreilles, et pour les yeux. Grâce à une direction méticuleuse, c’est une lecture d’une très grande clarté, faisant très nettement émerger les architectures, teintée d’émotion. Loin d’être massive, elle est, au contraire, très dynamique, mettant aussi en valeur les sons individuels. Cela permet d’entendre et d’exalter les solistes de l’orchestre, et surtout cuivres et bois. Au bilan, une autre facette passionnante de la musique du compositeur russe. Le fatum est bien là, mais avec un petit quelque chose de plus, indéfinissable.
Michel Grialou