En attribuant la Palme d’or à l’Iranien Jafar Panahi pour « Un simple accident », le jury du 78e Festival de Cannes, présidé par Juliette Binoche, a voulu rendre hommage au courage d’un homme, à sa constance à lutter contre la dictature autant qu’à un film, d’une austérité et d’un minimalisme contraint pouvant rebuter le grand public.

Des citoyens confrontés à un régime totalitaire. Photo Films Pelléas
« Une Palme indiscutable », titrions-nous le soir du palmarès du 78e Festival de Cannes à propos du film « Un simple accident ». Indiscutable parce qu’elle couronnait un homme se battant depuis toujours, à armes très inégales, contre un régime autoritaire. Indiscutable aussi parce qu’il semblait impossible, particulièrement pour Juliette Binoche, qui fut proche d’Abbas Kiarostami (1940-2016), le plus grand cinéaste iranien, de laisser repartir bredouille Jafar Panahi, qui avait réussi, miraculeusement, à quitter son pays le temps du Festival, avant d’y retourner y vivre, malgré tout. Pour autant, « Un simple accident » n’est pas à prendre comme une Palme absolue, comme un chef-d’œuvre qui marquera l’histoire du cinéma – mais de chef-d’œuvre, la Croisette n’en a proposé aucun cette année. Prenons donc ce 11e film de Jafar Panahi pour ce qu’il est : la dénonciation d’un Etat policier, dirigé d’une main de fer par une poignée de vieux mollahs aidés par des serviteurs zélés prompts à terroriser, arrêter et torturer leurs concitoyens avides de liberté. Le scénariste et réalisateur choisit un de ces suppôts du régime islamique, d’une totale banalité. L’homme a une quarantaine d’années. Il a laissé une jambe à la guerre. On le voit dans la scène inaugurale : il aime sa femme et leur jolie petite fille. Il paraît doux et compréhensif. Il est en réalité tout le contraire. Percutant un animal sur une route poussiéreuse, il s’arrête chez un garagiste pour faire réparer le véhicule. Un des employés l’entend arriver – marche irrégulière, grincement d’une prothèse. Il pense reconnaître immédiatement le tortionnaire, surnommé « la guibole », qui l’a martyrisé en prison. Le lendemain, il le kidnappe, l’embarque dans un fourgon et s’apprête d’abord à l’enterrer vivant dans le désert. Il a pourtant des doutes et fait le tour de plusieurs amis pour valider son sentiment d’être en présence de leur bourreau commun…
Se venger ou pardonner ?
Durant le reste du film, deux femmes et trois hommes vont échanger sur ce que leur dicte leur conscience : se venger au risque d’être pire que leur tortionnaire ; lui faire comprendre son infamie et tenter d’infléchir sa personnalité. Le film ayant été tourné dans la clandestinité, la plupart des scènes ont lieu dans le fourgon ou juste à côté, à l’abri des regards dans un désert ou dans les collines surplombant une grande ville, dont on aperçoit au loin les lumières. Le dispositif, contraint par l’interdiction de tourner que subit Jafar Panahi depuis des années – ce dont il parvient à s’affranchir avec la plus grande détermination – est forcément austère, la mise en scène réduite à l’essentiel. « Un simple accident » repose donc sur ses dialogues, expression de la colère et de la souffrance d’une poignée d’Iraniens représentant en fait la majorité silencieuse d’un pays verrouillé. L’enjeu du film est vite établi et compris. Il est pourtant répété, comme une boucle infernale, sans que cela soit toujours utile. « Un simple accident », Palme indiscutable, peine à sortir de son idée de départ, provoquant parfois l’ennui. Ce qui en éloignera le grand public, fût-il tout acquis à sa cause.
« Un simple accident », de Jafar Panahi, au cinéma mercredi 1er octobre.