Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
L’Inspecteur Harry de Don Siegel
L’Inspecteur Harry n’est pas l’un des plus grands films de l’histoire du cinéma et son réalisateur Don Siegel ne possède pas le génie d’un John Ford ou d’un Howard Hawks (pour ne citer que des cinéastes ayant opéré comme lui au sein des studios hollywoodiens) même si on lui doit de remarquables réussites : L’Invasion des profanateurs de sépultures, A bout portant, Tuez Charley Varrick !, Le Dernier des Géants…). Au-delà de ses qualités intrinsèques, ce film, sorti en 1971, marqua une date et une rupture au même titre que Bonnie & Clyde d’Arthur Penn, L’Exorciste de William Friedkin ou Les Dents de la mer de Steven Spielberg. En effet, L’Inspecteur Harry et ses suites (Magnum Force de Ted Post en 1973, L’inspecteur ne renonce jamais de James Fargo en 1976, Sudden Impact de Clint Eastwood en 1983 et La Dernière Cible de Buddy van Horn en 1988) ont révolutionné le paysage cinématographique en donnant naissance à de nouvelles références.
Avec ce rôle de flic violent, misanthrope, incontrôlable (surnommé « Dirty Harry » en VO), Eastwood crée un personnage iconique de la culture populaire tout en annonçant nombre de genres et de figures qu’Hollywood allait produire ad nauseam. Ainsi, Harry Callahan préfigure le héros du « vigilante movie », ce justicier solitaire qu’incarnerait par la suite, et parmi tant d’autres, Charles Bronson. De même, le personnage du « méchant », Scorpio, interprété par Andy Robinson et librement inspiré du « tueur du Zodiaque », est à la fois un tueur en série et un terroriste – deux profils que là encore l’industrie hollywoodienne ne cessera dès lors d’exploiter. Autre situation vouée au succès et au recyclage : l’inspecteur Harry se voit attribuer comme adjoints de jeunes recrues qu’il ne porte guère dans son cœur. Inutile de rappeler comment le tandem de flics apparemment désaccordés deviendra un classique du film policier.
Anarchiste tendance libertarienne
Cette mutation du polar urbain (l’action se déroule à San Francisco) s’est accomplie par ailleurs sur un réel fond sociologique. Les années 1960 ont vu aux Etats-Unis la criminalité exploser, une criminalité « ordinaire » (hors crime organisé et mafias) et « extraordinaire » (avec l’apparition de tueurs en série ou de criminels de masse médiatiques à l’instar de Charles Manson). Le traitement du scénario et la mise en scène de Don Siegel accentuent le réalisme du film en dépassant la banale illustration des exploits d’un superflic.
Bien sûr, la réussite de l’ensemble et l’inattendu succès public de L’Inspecteur Harry doit beaucoup à son interprète et coproducteur avec Warner Bros via sa compagnie Malpaso fondée en 1967. Tout en acceptant ce rôle que nombre de vedettes avaient refusé, Clint Eastwood impose à la mise en scène Don Siegel qui l’avait déjà dirigé dans Un shérif à New York, Sierra torride et Les Proies. En pleine confiance, celui que les westerns de Sergio Leone avaient transformé en star et qui venait de faire ses débuts en tant que metteur en scène (avec l’excellent thriller Un Frisson dans la nuit dans lequel apparaît… Don Siegel) signe une composition géniale qui ne doit rien au cabotinage. Maniant le flingue (un Smith & Wesson de calibre 44. Magnum) et le mot qui tue, Harry Callahan demeure l’un des flics de cinéma les plus inoubliables de l’histoire.
Aux Etats-Unis, comme en France, une large part de la critique cloua au pilori L’Inspecteur Harry en dénonçant le « fascisme » et le « racisme » du film. Ces accusations, aussi fausses que délirantes, collèrent longtemps à la peau de Callahan / Eastwood avant que la presse « progressiste » ne révise ses jugements. La nature et le caractère de « Dirty Harry » étaient pourtant clairs à l’écran. Ce flic solitaire, issu du peuple, était avant tout rétif à l’autorité, à l’injustice, à la bureaucratie, aux politiques. Bref, un anarchiste, tendance libertarienne, sensibilité qui, en l’occurrence, correspond aussi à celle de Clint Eastwood…
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