US – Exposition photographique à la Galerie du Château d’Eau jusqu’au 14/04/2024 &
Livre coédité avec les Éditions lamaindonne
US est le récit surgi en contrepoint d’un road-trip hybride aux USA, fusionnant par une nécessité doublement consentie voyage familial et projet photographique professionnel.
Arno Brignon est né à la photographie à Toulouse, principalement au contact des collections, des expositions, et des animateurs de la Galerie du Château d’Eau qui l’expose aujourd’hui. A cette occasion, la Galerie a coédité avec les Éditions lamaindonne un livre mêlant photographies et journal de bord.
Le projet
L’idée de US a germé en 2017 dans l’esprit d’un Arno Brignon encore sous influence du film Paris, Texas (Wim Wenders, 1984) visionné peu de temps auparavant, mais pressé ce soir-là de répondre à un de ces appels à projets dont les photographes professionnels ont tant besoin pour vivre de leur art – qui est aussi un métier (*).
Même s’il avoue ne pas être de prime abord attiré par les USA, Arno Brignon est cependant rompu aux défis et aux confrontations, exercice déjà pratiqué dans le cadre de résidences effectuées notamment en itinérance sur un territoire. L’idée du road-trip s’impose, et celle d’un parcours reliant les villes américaines éponymes de capitales européennes révélera peut-être si ce Nouveau Monde est toujours celui qui nous attend.
Le challenge s’annonce d’autant plus intéressant que les trois voyages (de 2018 à 2022) s’effectueront en famille– un paramètre inédit et questionnant avec lequel il devra composer.
Chemin faisant
US, titre de l’exposition à la Galerie du Château d’Eau à Toulouse et du livre coédité avec les Éditions lamaindonne, résonne comme une sur-impression sur la pellicule : les USA plutôt insolites – observés dans le cadre photographique du 35mm, et le nous qui désigne l’équipage familial embarqué à la découverte du Nouveau Monde. Une situation plutôt incongrue que le photographe va toutefois rapidement retourner en appréciant, grâce à la présence de sa fille et de sa compagne, de pouvoir aller plus facilement au contact d’américains pas toujours friendly. A fortiori quand on ne fait que passer dans l’Amérique de l’intérieur, celle des petites villes oubliées par les métropoles-monde.
Un autre film de Wim Wenders : Alice dans les villes, axé sur le thème d’une quête aux composantes multiples : photo, travail, famille, nous semble davantage faire écho au cheminement d’Arno Brignon. On y voit un journaliste, las de sécher sur la rédaction d’un article, s’embarquer dans un road-trip muni d’un polaroïd et photographier au gré de ses ressentis. Plus tard on lui confie Alice, la petite-fille qui cherche à retrouver sa grand-mère, et c’est un tout autre voyage qui prend forme.
Le regard a changé
Celui d’Arno Brignon va petit à petit ouvrir sur un imaginaire apte à témoigner de son immersion paradoxale dans un pays déroutant, faussement familier, encombré de clichés en tous genres.
La matière des sensations initiales du photographe va alors pouvoir composer avec des paramètres plus ou moins choisis, dont la présence ou les manifestations aléatoires seront immanquablement lisibles dans son travail : tentation de vacances, pellicules argentiques périmées, aléas du quotidien en pays inconnu, … ces accidents génèrent l’écriture sous tension qui traverse la double restitution du projet US.
Dans la photographie d’Arno Brignon, les clichés figuratifs alternent avec le brouillage ou la dissolution des formes stables, le bougé, le flou, ou l’explosion des couleurs qui placent le regardeur à la lisière de ce qui peut advenir, chacun dans son imaginaire, face à la même image. Une image peut être floue comme une pensée résume remarquablement Bernard Plossu. Le même affirme qu’avec le procédé argentique il est impossible de tricher (**).
Dans un article où il questionne le geste créatif à l’heure de l’I.A., le philosophe Eric Sadin (***) observe finement que
L’abstraction en peinture, ou en photographie, n’a pas rompu avec toute attache au réel. Elle a fait apparaître un autre type de réel, délivré de référent objectif, fait de la seule présence des formes s’offrant à notre perception et à même de la stimuler autrement.
Photographe de terrain, Arno Brignon a le témoignage chevillé au corps, et il en rend compte avec la même urgence qu’un reporter en mission. Ici le vécu intime autant que le saisissement, la sidération, l’émerveillement ou encore le malaise dans les situations rencontrées témoignent d’une même sincérité.
La restitution
On peut l’appréhender dans l’exposition, où la scénographie dynamique varie les distances, comme autant d’états d’âme: agrandissements, petits formats, bandes de lecture rythment le cheminement
Le livre quant à lui est une belle réalisation de plus inscrite dans la collection co-éditée par La Galerie Le Château d’Eau et les Éditions lamaindonne, sous la direction de David Fourré et Christian Caujolle. US s’y révèle être un livre de photographie et un récit en soi, à la manière de ces écrivains-voyageurs capables d’insuffler à leur journal de bord le souffle littéraire d’un périple qui les a transformés.
Instagram @arnobrignon
Arno Brignon est membre de Signatures, Maison de Photographes
US – L’Exposition à la Galerie du Château d’Eau à Toulouse jusqu’au 14 avril 2024.
C’est la dernière exposition à la galerie avant sa fermeture jusqu’à l’automne 2025 pour cause de travaux d’agrandissement.
US – Le livre aux Éditions lamaindonne – 22 €
(*) Lire l’article d’Ericka Weidmann du 7 février 2024 dans son indispensable webzine photo ‘9 lives magazine » consacré aux appels à projets abusifs
(**) in Made in USA, la photographie de Bernard Plossu dans l’émission Bienvenue au club / France Culture du 21 mars 2023
(***) Eric Sadin in Le Monde Diplomatique, novembre 2023, p.27 L’Humain Diminué
La chronique parue dans le magazine Fisheye