Du plateau de The Voice à celui des NRJ Music Awards, Philippine Lavrey trace son épopée musicale sans fausse note. Avec son grain pop-folk, elle propose un cocon chaleureux et intimiste à ses auditeurs. L’autrice-compositrice sera sur la scène de la Comédie de Toulouse le 17 février prochain, à cette occasion, Culture 31 a échangé avec l’artiste.
Culture 31 : Ta relation avec la musique a commencé très jeune. Quand tu étais petite, ta mère jouait de l’accordéon, et toi, tu t’es mise au piano, toute seule. Quels souvenirs gardes-tu de ce ce premier apprentissage en autodidacte ?
Philippine Lavrey : Je me souviens que je me cachais un peu dans ma chambre. J’aimais pas trop que mes parents viennent m’écouter. Dès que j’entendais une petite musique de pub je courais dans ma chambre la reproduire. La pub Herta par exemple (rires). Ça m’amusait de reproduire ce que j’entendais. Je faisais mes gammes sans même m’en rendre compte, je travaillais la musique toute seule comme ça. J’avais souvent des devoirs mais je privilégiais le piano en général. Et puis j’ai vite pris des cours d’accordéon, à l’âge de 8 ans, et du coup j’ai commencé à jouer de cet instrument assez jeune aussi finalement.
Ensuite, tu as fait du solfège, de la guitare et du chant. Dans quel domaine as-tu immédiatement ressenti le plus de plaisir ?
Je crois que c’est dans le chant. Même si la guitare aussi, quand j’ai commencé à m’y mettre, c’était trop cool. Mais c’était plus douloureux la guitare, ça demande un peu plus de pratique avant de pouvoir vraiment s’amuser. C’est vrai que le chant, avec les cours de musique au collège par exemple, c’était trop bien. Je me souviens que je me suis vite trouvée. J’ai vite compris que c’était moi, je chantais dans ma chambre tout le temps. On m’a vite mis dans la case « ça, ça te va bien ». Et quand on est jeune, ça fait du bien de se sentir quelque part. Donc ça a été immédiat, avec le chant ça va vite.
Après le bac, tu travailles en maison de retraite et tu vois les personnes âgées s’illuminer sur des ritournelles des années 50. Ton goût pour les textes en français est-il lié à cette expérience ?
Je dirais que ça m’a aidée oui. C’est vrai que j’écoutais beaucoup d’anglais, de titres anglophones, de folk-pop de l’époque. Jason Mraz, John Mayer… Et mon père écoutait beaucoup de r&b donc j’en écoutais un peu aussi. Ensuite, j’ai dû apprendre des trucs plus anciens, du moins découvrir des chansons françaises. Puis c’est là que j’ai compris qu’il y avait de très beaux textes, de belles mélodies. Et c’est vraiment à The Voice, en 2016, que je me suis un peu plus ouverte culturellement sur les chansons françaises. C’est là que j’en ai découvert plein, notamment celles d’Alain Souchon. Je les ai vraiment toutes écoutées. Celles de Renaud et Aznavour aussi. J’ai découvert des choses incroyables. Je me suis fait ma culture française vers mes 20 ans, celle que je n’avais pas eu dans mon enfance parce que ce n’était pas ce qu’on écoutait à la maison.
Tu as d’ailleurs repris des chansons d’ Alain Souchon, Michel Berger et Michel Delpech sur les réseaux sociaux. Ces formats ont beaucoup plu. Pensais-tu que ce registre pouvait toucher une telle audience ?
Non. En fait, j’avais plutôt des jeunes femmes qui me suivaient, dans mes statistiques. Et quand j’ai commencé à faire les « Souchonnades », cette série de reprises de Souchon, j’hésitais quand même beaucoup, parce que je me disais que je n’allais pas toucher les gens. Parce que même si je reprenais des chansons assez connues, je me disais que ce n’était pas la cible, que j’allais me planter, mais qu’au pire je le ferai pour moi. Donc j’ai testé parce que ça m’amusait, et en fait ça a beaucoup plu aux gens. Aujourd’hui, on m’en demande encore et c’est étonnant. Mais j’étais hyper contente de voir que notre génération pouvait apprécier. C’est la preuve que ces artistes-là touchent tout le monde. Je suis vraiment une fan.
Tu as commencé la scène avec des open mics et des cafés-concerts. Dans ce contexte, tu rencontres Théo Isambourg, avec qui tu formes un duo de reprises de morceaux des 70’s, ce qui vous amène en première partie de Patrick Fiori. À ce moment-là, quel est ton état d’esprit ? Était-ce euphorique dans ton esprit ?
Oui, d’autant plus que c’est mon vrai premier contrat de maison de disques, donc j’étais folle de joie. Parce qu’en plus je ne m’attendais pas à avoir Patrick dans l’histoire. Et un jour, je me pointe en rendez-vous, on ne me prévient pas et je tombe nez à nez avec lui. Quand j’étais petite j’imitais les chanteurs quand je chantais. À 7-8 ans, je n’avais pas de personnalité, je chantais comme les chanteurs que j’écoutais. J’ai en mémoire quand j’imitais Patrick Fiori sur « Belle », toutes cordes vocales ouvertes. J’ai cette vision, et puis là, il nous emmène en tournée. On a beaucoup ri, c’était trop bien. C’est parmi mes meilleurs souvenirs de scène parce que c’est parmi les premiers, même si j’en avais déjà fait un peu. Mais pas des scènes de zéniths comme ça, des grosses salles de 2000 à 3000 personnes, l’Olympia… Et Patrick Fiori a été un peu le parrain, celui qui nous a formé à la scène avec Théo. Il nous a permis de mettre un pied dedans.
Depuis 2018, tout s’enchaîne. Tu es devenue répétitrice pour Les Enfoirés, tu as remporté un challenge lancé par Matt Pokora, tu as fait un Bercy et a écrit pour d’autres artistes. Comment as-tu réussi à garder la tête sur les épaules ?
C’est arrivé à force de persévérance et de travail donc c’était assez naturel. C’est venu sur le long terme. Je pense qu’on peut devenir un peu cinglé si ça nous arrive du jour au lendemain, mais j’ai travaillé dans ce sens et c’est arrivé par petites gouttes, du coup je prends ça pour du plus. Pour moi, ce n’était pas un objectif tout ça, c’est du bonus. Et si demain ça s’arrête, j’aurais quand même fait tout ça. Je dis pas que j’ai pas la dalle. Tout ce qu’il m’arrive, je le veux. Mais ça reste un luxe de le vivre dans une vie normale. Et donc j’estime que c’est plus une chance qu’autre chose. Ça me rend heureuse mais ce n’est pas une fin en soi. Demain je me battrai toujours pour ça, mais si ça s’arrêtait, je serais déjà hyper fière que ça me soit arrivée.
Quand tu as rejoint Parlophone (Warner Music France), tu as fait la rencontre de Benson Boone, avec qui tu partages la ballade « In the stars ». Le titre est un vrai succès. Il reste 2 mois dans le top 10 du classement général radio français et te permet d’être nommée à deux reprises aux NRJ Music Awards. À quoi tient la réussite de ce titre selon toi ?
On ne peut jamais vraiment savoir, mais de ce que j’imagine dans ma petite tête, c’est que ça a touché les gens directement dans leur vie. C’est quand même une chanson qui parle d’un deuil et malheureusement, on y est tous confrontés. Donc il y a une espèce d’universalité du sujet. Et quand on va voir dans les commentaires sous la vidéo YouTube, on voit les témoignages de gens qui nous disent : « j’ai enterré mon mari avec cette chanson », « j’ai chanté cette chanson à l’enterrement de mon père », « j’ai perdu mon bébé et je chante cette chanson tous les jours »… C’est douloureux de lire ça, et là on se dit que ça ne rigole pas ce qu’on peut envoyer dans l’univers comme message. C’est très fort. Parfois c’est très léger et ça fait du bien, et parfois c’est très fort et ça fait du bien aussi, même si ça fait mal en même temps. Et ça répare un peu les gens, du moins ça les aide à réaliser certaines choses.
On peut aider les gens à faire leur deuil avec une chanson, c’est quand même pas rien. Donc je me dis « wow », l’impact de la musique c’est vraiment dingue. Et ça m’a vraiment fait tilt sur la suite du projet. Je ne serai jamais assez reconnaissante pour ce que Benson m’a apporté en m’offrant la chance de chanter ça avec lui, de le traduire en français, et d’avoir amené ce titre en France. Et puis j’ai perdu mon papa l’année où on me l’a proposé et c’était quand même assez étrange comme signe. En plus, il est sorti à un an jour pour jour de la date d’anniversaire, c’est un super cadeau de la vie et ça m’a fait du bien. Ça en a aussi fait à ma famille. C’est ma version très personnelle mais j’ose imaginer ce que ça peut représenter aussi pour les gens. Je pense que je ne pouvais pas mieux démarrer mon arrivée dans la musique qu’avec cette chanson. Donc merci Benson.
Ça prend encore plus de sens quand on a connaissance de la résonance du morceau avec ton propre vécu.
C’est le hasard en plus. Parce qu’on m’a juste dit : « écoute cette chanson ». Je la connaissais un petit peu, j’aimais bien et je trouvais ça très beau. Puis on m’a proposé de le rencontrer car il passait à Paris. Donc j’ai filé chez Warner à toute vitesse, et c’est comme ça qu’on s’est rencontrés. Je me souviens qu’on avait rejoint un hôtel où il était, avec des produits français pour qu’il découvre un peu. Au final, on a chanté « In the stars » en anglais et ça a matché. Je pense qu’ils avaient déjà leur idée derrière la tête. On a écrit un petit bout de texte en français, on leur a fait découvrir le mix et c’est parti comme ça. Ils nous ont fait confiance et c’est génial.
Puis effectivement, après, il y a eu les NRJ Music Awards où il est venu, j’ai pu faire aussi « La chanson de l’année » et me retrouver dans la catégorie avec Vianney, que j’adore, mais aussi Slimane et Claudio Capéo, qui sont mes deux copains de The Voice. On y était la même année. Donc il y avait un truc un peu lunaire. Je me disais : « mais qu’est ce que je fais là ? C’est génial ». J’étais spectatrice de ma propre vie. J’ai vécu ça comme si je le regardais à la télé avec du popcorn.
Et ça ne va pas s’arrêter en si bon chemin. Ton premier EP sortira le 9 février prochain. Que peux-tu nous dire dessus ?
Je dirais que c’est un melting-pot de huit ans, c’est pour ça qu’il s’appelle « 8 ». C’est huit titres sur huit ans, tirés de ce que j’ai pu écrire et composer. Ou même coécrire et co-composer, plus récemment, sur « Libre à deux » avec Vito d’Errico, Bailey Nelson et Mattanoll, qui a quasiment réalisé tout l’EP. Enfin, il y a plusieurs personnes sur le projet, beaucoup de noms. En tout cas, c’est d’assez belles petites histoires que je raconte. Parfois les miennes, parfois celles des autres. Puis il y a un mélange d’énergies aussi. «Profil droit» – où je parle de mon nez, de mon acceptation de moi et de comment j’y travaille – est très intimiste par exemple. Je l’ai fait complètement à la maison, en un ou deux shots, dans mon salon. Parce que j’avais envie de quelque chose de simple.
Et à côté on a des grosses prods où ça envoie un peu plus lourd et l’ambiance est plus dansante. Comme « Sur le monde » où je parle de saut en parachute. Il y a des chansons qu’on peut écouter sous la douche en hurlant. Ensuite on peut les écouter sur la route pour partir en vacances en Méditerranée par exemple. Enfin, il y a plein de moods différents et j’espère faire voyager les gens dans mon petit monde. Puis ça ne sera que l’avant-goût de l’album, qui sortira plus tard, dans les mois qui suivent.
Tu as déjà dévoilé le single « Tomber en amour », aux arrangements pop et à la guitare folk. C’est un titre très épuré. La beauté tient souvent dans la simplicité ?
Je suis convaincue que c’est comme en cuisine. Quand on prend des bons ingrédients, on n’a pas besoin d’en mettre beaucoup. Ce que je mets en valeur à chaque fois dans mes chansons, c’est la guitare et la voix, et derrière effectivement il y a des titres qu’on va produire de manière plus pop, et d’autres qu’on va encore complètement épurer comme ma version de « Profil droit » qui est acoustique. C’est volontaire. Il y aura une version plus produite plus tard. Mais j’avais envie de faire exister cette version-là parce que ça parle de choses très intimes, comme mes complexes. Ça se prêtait pas tout de suite à la version plus produite, puis les gens la connaissent en guitare-voix sur scène pour ceux qui me suivent. Donc j’avais envie de la faire comme ils la connaissent. Celle-ci en particulier.
Les autres sont des souvenirs un peu plus légers, des histoires qui peuvent un peu plus parler aux gens en général, et donc sont un peu plus pop. À d’autres endroits, comme dans « Tomber en amour », je vais balancer un peu plus entre les deux. Un mélange entre la pop et la folk. Et sur « Parle moi », on retrouve aussi cette espèce de mélancolie pop-folk qui me tient à cœur.
On découvrira ça plus en détail bientôt puisque tu seras sur la scène de la Comédie de Toulouse, le 17 février 2024. Quel est ton point de vue sur le public toulousain ? Que t’en a-t-on dit ?
Je ne le connais pas donc j’ai extrêmement hâte de le découvrir. Enfin, je le connais quand même un petit peu, j’avoue. J’ai un pote qui représente un peu Toulouse, qui s’appelle HYL – mon copain est son musicien d’ailleurs – et à chaque fois que je suis allée le voir en concert, c’était le feu de chez feu. En même temps, il met le feu. Donc j’espère que je vais être aussi agréablement surprise par le public toulousain, tel que je l’ai vu dans d’autres concerts que les miens. Mais je n’en doute pas. Je pense que c’est un super public.
Propos recueillis par Inès Desnot