Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre injustement méconnu.
Alors que David Lopez publie en cette rentrée littéraire son second roman, Vivance, on peut revenir à celui qui lui valut à l’automne 2017 reconnaissance critique et publique. Ils s’appellent Jonas, Poto, Ixe, Untel, Sucré ou Miskine et vivent dans cette France périphérique tellement absente chez nos romanciers (à de rares exceptions dont Pierric Bailly). Laissons Jonas planter le décor : « On habite une petite ville, genre quinze mille habitants, à cheval entre la banlieue et la campagne. Chez nous, il y a trop de bitume pour qu’on soit de vrais campagnards, mais aussi trop de verdure pour qu’on soit de vraies cailleras. Tout autour, ce sont des villages, hameaux, bourgs, séparés par des champs et des forêts. Au regard des villages qui nous entourent, on est des citadins par ici, alors qu’au regard de la grande ville, située à un peu moins de cent kilomètres de là, on est des culs-terreux. »
Il y a encore des services publics et s’étendent aussi une « zone d’activité commerciale avec ses magasins tout flingués, ses tout à dix balles et ses marchés discount », deux cités, des agences d’intérim, des quartiers résidentiels, quelques maisons luxueuses sur une colline.
Un gars de chez nous
Jonas et sa bande tuent le temps, dealent et fument du shit, boivent, tentent de s’incruster dans des bars ou des soirées de l’autre côté de la rive là où « il n’y avait pas de lascars. Que des petits bourges. » Ces incursions valent le détour : « Des pantalons serrés, des vestes genre costard, des chapeaux, des lunettes un peu fantaisistes, des jeans retroussés on voit les chevilles (…) Que des gueules à s’appeler Charles-Edouard ou Églantine. » Le narrateur de Fief boxe, il a failli passer pro. Pas de regrets, il partage assez la philosophie de son ami Poto : « On lui demande souvent pourquoi il n’essaie pas de percer dans la musique, et lui il répond qu’il ne veut pas être connu. Ce genre de maquisard. Sa façon à lui d’être un gars de chez nous. Réussir c’est trahir. »
La prose de David Lopez a du swing, de l’énergie, du rythme, à l’image des scènes de boxe épatantes. Une petite pluie fine se glisse entre des pages truculentes. On pense à Bukowski, à la discrète mélancolie de la comédie italienne remise au goût du jour, à du Michel Audiard à capuche. C’est cruel, souvent très drôle, sans pathos. Les jeunes gens de Fief partagent des codes, des rites, des mots de passe. Ils sont ensemble et seuls à la fois. On regrette qu’ils ne soient pas assez incarnés. Ils ont une voix, un langage, mais la plupart n’ont pas de corps.