LA PROVENCE TERRE CENTRALE DES FESTIVALS
Les Chorégies d’Orange peuvent être considérées comme le berceau des festivals d’été avec un début de concerts fin XIXème siècle. Longtemps sans partage l’été musical, opératique et théâtral a été presque uniquement provençal. Une exception est représentée dans l’histoire par le Festival international de Prades, dans le midi des Pyrénées orientales, que j’aime beaucoup et qui a été initié par Pablo Casals en 1950, dans des circonstances politiques plus que tendues. Depuis quatre dizaines d’années l’hexagone regorge de festivals merveilleux comme si l’exemple provençal s’était diffusé. Il me semble toutefois que l’été en Provence demeure un idéal festivalier inégalable. Sans parler d’Avignon ou d’Aix en Provence où je n’ai pas l’occasion d’aller régulièrement par nécessité d’emploi du temps, je reste fidèle aux Chorégies d’Orange depuis toujours. Cette année j’ai pu aller au Festival d’Aix en Provence pour deux opéras. Je n’ai pas pu obtenir de places presse par mauvaise anticipation mais je dirai tout de même quelques mots sur deux productions absolument superbes : Idomeneo de Mozart et Le Couronnement de Poppée de Monteverdi. Les autres critiques classiques seront mis en ligne régulièrement : Orange pour la Gioconda, Le Festival de Musique de Chambre de Salon pour quatre soirées et le Festival de la Roque d’Anthéron sur trois semaines. Tous les Festivals retrouvent leur public à jauge complète, sans pass ni masques en plein air ! Un air de renouveau souffle fort cette année.
Parlons donc un peu d’Aix en Provence. J’ai suivi ce qui s’y passait depuis des années par les vidéos ou diffusions radiophoniques. Je trouve en tous cas que cette année le niveau est absolument supérieur à bien des années. Le nombre de représentations est ahurissant et la qualité est sublime. Je me concentre sur les deux spectacles que j’ai eu la chance de voir mais l’écoute des autres me donne la même impression de perfection. Il est possible de les réécouter sur France Musique et je ne peux que vous engager à le faire.
Idoménéo, re di Creta d’abord, un soir de première à Aix reste un moment passionnant avec une sorte de spectacle dans la cour du Théâtre de l’Archevêché avant le début de l’ouverture. Parés de leurs plus beaux atours, parlant haut, une certaine parade se déroule avec une sorte de parisianisme semblant déjà démodé. Ce beau monde se tait de justesse pour l’ouverture menée de main de maître par un Raphaël Pichon des grands soirs. Et nous voilà embarqués dans cet opéra fleuve qui va avancer vers la liesse finale en passant par toutes les émotions possibles. J’ai toujours beaucoup aimé cet opéra seria de Mozart. Ce soir il est défendu avec des moyens si exacts que je comprends mal le désamour dont il souffre chez une partie du public. L’Orchestre et le chœur Pygmalion sont de vif argent, de feu, de glace, de fureur, de terreur. Les récitatifs sont découpés au scalpel avec un continuo bouleversant d’exactitude dramatique. Les chœurs sont absolument superbes, vivants et porteurs d’émotions très puissantes. La distribution est proche de l’idéal en tous points. Par ordre d’entrée en scène l’Ilia de Sabine DEVIEILHE a la délicatesse d’âme d’une Pamina, la pureté du timbre et la ligne de chant les plus bouleversantes qui soit. L’Idamante d‘ Anna BONITATIBUS a l’énergie et la bonté de ce beau personnage, la noblesse du timbre cuivré, la précision des vocalises. À l’heure de sa disparition elle m’évoque la jeune Teresa Berganza, c’est dire. Nicole CHEVALIER reprend sur le tard le terrible rôle d’Elektra : elle est tout simplement parfaite dans ce rôle impossible dont elle sait rendre toutes les facettes. Sa véhémence finale dans un air d’une difficulté terrible reste un moment de théâtre vocal halluciné inouï.
Mais Idomeneo repose sur les épaules du rôle éponyme pour atteindre droit au cœur le spectateur. Il est peu de dire que MIKAEL SPYRE est le roi, le père aimant, l’humain détruit par le sort avec une voix victorieuse. Il se rit de toutes les difficultés et il n’en esquive aucune, en rajoute même avec des cadences hallucinées et hallucinantes. Écoutez son « Fuor del mar » et convenez que nous n’avons jamais, au grand jamais entendu cela ! Le Baryténor enrichi ce rôle avec une puissance royale indiscutable.
La mise en scène du Japonais Satoschi MIYAGI est originale et fonctionne très bien avec cette mise en abyme à travers les siècles et les civilisations. Chaque rôle principal est posé sur un piédestal qui peut être mobilisé. Le jeu se concentre sur le visage et la voix. C’est très efficace. Les costumes japonais traditionnels sont magnifiques. Elektra dont la douleur est si terrienne restera au sol à déambuler, impuissante de douleur et de fureur. Le chœur aussi bouge sur scène ou dans la salle pour des effets très puissants. Il y a également une autre mise en abyme : ces héros vocaux inatteignables sont également présentés à un public contemporain où les puissants se croient à l’abris de tout sans se soucier, ni du climat ni de la douleur des « petits ». Miroir pas forcement bien accepté par une partie du public le soir de la première …
Le Couronnement de Poppée de MONTEVERDI est présenté au Théâtre du jeu de Paume, c’est un théâtre à l’italienne confortable et bien climatisé. Je ne crois pas avoir vu souvent un spectacle si abouti au niveau du lien idéal entre chant, orchestre et théâtre. Une sorte d’idéal retrouvé pour le premier opéra donné pour du public payant ou presque.
D’abord la réalisation musicale de Leonardo Garcia Alarçon est la plus convaincante que j’ai jamais entendue et je pèse mes mots. Les jeunes et beaux chanteurs-acteurs sont absolument merveilleusement mis en scène avec une rigueur, une précision et une sorte de liberté totale. Chaque acteur reste en scène tout du long et se change à vue mais surtout vit avec son corps toutes les affres de son personnage et dieu sait si les émotions sont vives dans Poppée ; vous trouverez en bas de ce texte la distribution. Ils sont si parfaits physiquement et vocalement qu’ils sont les personnages, c’est totalement convainquant. Cette mise en scène de Ted Huffman est incroyablement efficace, rarement autant de jeu théâtral a été obtenu à l’opéra et jamais sur une distribution entière. Même à la simple écoute sur France musique vous serez conquis : c’est une sorte de perfection inoubliable. Si je jouais au jeu des distinctions, assurément cet opéra aurait la palme de l’accord théâtre-chant depuis que je vais à l’Opéra ! C’est pour moi la version que j’emporte sur une Isle déserte, en la réécoutant je vois Poppée, Néron, Othon, Drusilla, Senèque, Ottavia, Arnalta, Nutrice, soit le peuple et les puissants tous ni bons ni mauvais mais balancés par la vie entre grandeur et bassesse. A ce titre le seul élément de décor de Johannes Schütz est tout simplement génial dans son symbolisme évident : un énorme cylindre horizontal suspendu, moitié clair et moitié sombre qui monte et décent sans jamais pencher ni à droite ni à gauche. Toute notion de justice est impossible absolument. N’est-ce pas cela la vie ?
Monteverdi demeure le compositeur d’Opéra le plus moderne qui soit car intemporel. Ce soir l’OPERA MAGNA = l’ŒUVRE TOTALE, a été représenté à Aix au Théâtre du jeu de Paume pour 9 représentations du Couronnement de Poppée ! Souvenir impérissable !
Distribution inégalable : Jacquelyn Stucker : Poppée ; Jake Arditti : Néron, Empereur ; Fleur Barron : Octavie, impératrice en titre/ La Vertu ; Paul-Antoine Benos Djian : Othon ; Alex Rosen : Sénèque, philosophe ; Miles Mykkanen : Arnalta, La Nourrice d’Octavie / Familier I ; Maya Kherani : La Fortune / Drusilla ; Julie Roset : L’Amour / Valet, page de l’impératrice ; Laurence Kilsby : Lucain/ Soldat I / Familier II / Tribun ; Riccardo Romeo : Liberto / Soldat II / Tribun ; Yannis François : Le Licteur / Familier III / Consul. La Cappella Mediterranea ; Direction : Leonardo Garcia Alarçon.