Le dernier concert de la saison 2021-2022 de l’Orchestre national du Capitole a permis de renouer avec le bouillonnant chef russe Maxime Emelyanychev et les deux grandes pianistes aux carrières liées, Katia et Marielle Labèque. Deux grandes œuvres du répertoire symphonique encadrent, dans le programme de cette soirée, la création à Toulouse d’une partition nouvelle de la jeune école américaine de composition.
Le concert s’ouvre sur l’une des symphonies les plus célèbres de tout le répertoire romantique : la Symphonie n° 8 dite « Inachevée » de Franz Schubert. Connaissant la recherche permanente menée par Maxim Emelyanychev autour du style d’interprétation des œuvres du passé, on ne s’étonnera pas de constater l’utilisation au sein de l’Orchestre national du Capitole d’instruments « historiques », comme la flûte en bois ou les timbales en peau. En outre, la disposition des différents pupitres sur le plateau de la Halle obéit à une géométrie inhabituelle. En particulier, les seconds violons prennent la place des altos, faisant face ainsi aux premiers violons comme en un jeu de miroir. Plus spécifique apparaît le style de jeu des cordes au vibrato particulièrement atténué, par rapport à la pratique habituelle.
La profondeur expressive de l’œuvre se manifeste dès les premières notes de l’Allegro moderato, comme émergeant du silence. La délicatesse du phrasé, la sensibilité du propos n’éludent en rien l’intensité du drame qui se manifeste par des tutti déchirants. Et puis on perçoit différemment les pizzicati des cordes, évocation émouvante des battements d’un cœur. Le chant-contrechant de l’Andante con moto révèle un lyrisme intérieur particulièrement sensible. La conduite élaborée des crescendos participe au développement d’un drame qui reste intérieur, presque intime. On peine à imaginer la manière dont Schubert aurait complété ce chef-d’œuvre !
Comme en miroir après la partition en création, le concert s’achève sur une exécution éblouissante de la Symphonie n° 103 conçue et imaginée à Londres en 1795 par Joseph Haydn. Dès les premières notes, il est aisé de comprendre la raison pour laquelle l’œuvre a été surnommée « Roulement de timbales ». Jean-Sébastien Borsarello, le musicien titulaire bien connu de ce pupitre, déchaîne cette percussion a cappella comme pour surprendre ses collègues, le public et peut-être même le chef ! Le contraste n’en est que plus frappant avec le thème au basson du Dies Irae qui ouvre avec profondeur la section Adagio de ce premier mouvement. Nouveau contraste avec l’Allegro con spirito de ce même volet. Le chef trouve le ton jovial, l’esprit, l’humour même qui animent cette section. Dans l’Andante più tosto allegretto qui suit, le principe de la variation donne l’occasion d’entendre le lumineux solo de violon que délivre avec finesse Mathilde Borsarello-Herrmann, qui occupe ce soir-là avec panache le poste de violon solo.
Aussi bien dans le Menuetto et son Trio que dans le Finale : Allegro con spirito, la vitalité la plus enivrante parcourt tous les pupitres de l’orchestre, stimulés par une direction aussi précise que dynamique. Une musique du bonheur !
Entre ces deux symphonies du grand répertoire, l’œuvre en création du compositeur et pianiste américain Nico Muhly a ménagé une transition rafraîchissante à laquelle Katia et Marielle Labèque ont apporté leur vivifiant talent. Rappelons qu’elles furent, en 2010 à Toulouse, les brillantes interprètes du double concerto de Francis Poulenc.
Né en 1981 dans le Vermont, Nico Mulhy est considéré par Katia Labèque comme l’enfant terrible de la musique ! Le compositeur de musique minimaliste américaine Philip Glass est pour lui un véritable mentor. Son style d’écriture se retrouve en filigrane dans ce Concerto pour deux pianos qui porte le sous-titre « In Certain Circles ». Dédiée aux interprètes de cette soirée, Katia et Marielle Labèque, cette partition est structurée comme dans la tradition classique selon trois mouvements.
En outre, la partition s’inspire de la tradition de musique baroque française. Elle cite notamment un petit fragment d’une pièce de Rameau, L’Enharmonique. Tout au long de l’œuvre les deux pianos dialoguent entre eux et avec un orchestre riche de couleurs et de percussions. Le lyrisme de certains passages contraste avec quelques explosions, autant de surprises de la part d’une musique imaginative et ludique. Le lien avec le grand mouvement des musiques répétitives et/ou minimalistes américaines doit beaucoup à Terry Riley, Steve Reich et surtout à Phil Glass auquel se réfère Nico Muhly.
Le bis offert par Katia et Marielle Labèque est d’ailleurs signé de Phil Glass. Le quatrième mouvement de la pièce intitulée sobrement « Four Movements For Two Pianos », donne une occasion de plus d’admirer non seulement leur éblouissante virtuosité mais également leur sens de la cohésion et de la couleur.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
Orchestre national du Capitole