Critique concert, concert. Toulouse, Halle-aux-Grains, le 18 mars 2022. Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie en ut majeur « Leningrad » op.60 ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction, Tugan Sokhiev
Il paraît impossible de rendre compte de l’effet produit par cette superbe interprétation de la Symphonie Leningrad de Chostakovitch. Ce fut un évènement planétaire.
Tugan Sokhiev a dirigé magistralement une partition titanesque en rendant évidentes bien de ses subtilités, jusque dans les sentiments contradictoires qu’elle produit. La beauté sonore des instrumentistes de l’Orchestre National du Capitole, a été somptueuse et les nombreux moments solistes ont été galvanisés. Les timbres des cuivres ont été comme chauffés à blanc, les violons dans le final ont été épais comme des glaces semblant éternelles, la chaleur des alti et des violoncelles a été réconfortante, la puissance des contrebasses hors des habitudes, mais surtout c’est la délicatesse des bois et des harpes qui a porté haut l’émotion… on reste éperdus de reconnaissance devant la qualité purement instrumentale de chacun. Mais cela n’est que peu de choses, car l’essentiel se situe ailleurs.
Cette interprétation superlative nous permet sans ambiguïté de comprendre la philosophie du chef et de ses musiciens, celle-là même du compositeur audacieux alors aux mains des bourreau bolcheviques. C’est l’intime de l’horreur, voire de la haine de la guerre, associé à l’admiration pour la résistance et l’enthousiasme des humains en situation extrême. Justement ce qui se passait à Leningrad sous les attaques nazies comme aujourd’hui à Kiev assiégée par l’armée Russe en masse. C’est un moment d’une rare ambivalence et incroyablement puissant de sentir combien la musique apolitique et messagère de paix peut le faire avec cette acuité en ces temps troublés par la guerre.
Malaise envoûtant de la Symphonie Leningrad
Un malaise viscéral profond, allié à la jouissance d’une beauté sonore totalisante, naît de la direction absolument fantastique de Tugan Sokhiev. Haine de la guerre et Amour des hommes. L’Amour de la vie simple est évoqué lors des réminiscences des bonheurs d’autrefois si délicats (flûtes et picolo, harpes, hautbois et cor anglais, violon solo !). C’est chaque fois à faire pleurer des pierres. Impossible de sortir indemne d’un tel concert à la puissance émotionnelle dévastatrice. Oui, l’homme est vraiment capable du meilleur comme du pire et cela a été le cas à Saint-Pétersbourg, devenue Leningrad, durant plus des 900 jours de siège nazi où 1 800 000 personnes périrent. C’est comparable à ce qui se passe ces jours-ci à Kiev, ville jumelée de Toulouse.,. Que d’énergies dans cette partition ! Quelle puissance dans ce long crescendo qui de la simple et sublime caisse claire en sa solitude existentielle arrive avec toute la détermination de la Force de la Vie à entrainer tout un orchestre, et ce soir il n’y avait pas loin de 140 instrumentistes sur scène ! Certes cette partition composée et donnée en 1941 durant le siège, et qui fut envoyée de suite par microfilms à Toscanini aux USA, est symbole de résistance au nazisme. Peut-on oublier que la folie des hommes, l’amour de certains pour la guerre, l’aveuglement d’un grand nombre qui donne le pouvoir à ceux qui haïssent la vie, peut nous reconduire à nouveau en un tel enfer ? De tels moments de désespoirs, tant de morts de faim et de froid, sont-ils indispensables afin que naisse un chef d’œuvre aussi puissant ? Le prix n’est-il pas trop lourd ? C’est entre bien d’autres, la question, quasi insondable, qui naît à l’écoute de l’interprétation si fulgurante de cette septième symphonie de Chostakovitch à Toulouse, pendant que Kiev plie sous les bombes russes.
Le peuple ukrainien par la voix de son président a adressé de chaleureux remerciements aux toulousains en début de semaine. Puis dans un communiqué commun entre la mairie de Toulouse et celle de Kiev, il a été précisé combien un tel concert permet de sceller des liens forts entre les deux villes comme entre les deux pays et entre toutes les forces de démocraties européennes face à la tyrannie poutinienne. Il a été levé un malentendu en disant clairement qu’ils appréciaient qu’un chef russe aussi talentueux que Tugan Sokhiev dirige la symphonie de l’héroïsme des peuples et se sont félicités de la diffusion du concert sur le réseau internet. Ainsi la planète entière a pu recevoir ce message de paix par la musique et de valorisation de la force des peuples pour conserver leur liberté. Il a également été dit combien ce sont les peuples qui souffrent mais pas eux qui décident la guerre. Que rien ne séparerait les peuples amoureux de la musique comme la France, l’Ukraine et la Russie. Que ce concert est un symbole fort d’union et non de ségrégation entre les peuples. Que la Musique est art de Paix totale.
Compte-rendu, concert. Toulouse, Halle-aux-Grains, le 18 mars 2022. Dmitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie en ut majeur « Leningrad » op.60 ; Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction, Tugan Sokhiev.
Las, las ce compte rendu est un rêve éveillé. Le concert de la symphonie Leningrad de Chostakovitch a eu lieu en 2017 et devait se dérouler ce 18 mars 2022. Le danger existe pour ceux qui prennent position rien qu’en nommant la guerre en Ukraine. Les choses n’ont pas changé et le danger de s‘exprimer en Russie est grand sous l’ère poutine comme au temps des purges staliniennes.
Comme ce rêve était beau cependant et le souvenir de cette interprétation merveilleuse de 2017 laisse supposer ce que Tugan et ses musiciens toulousains auraient pu en faire dans ce contexte si douloureux ! Certainement encore d’avantage qu’en 2017…. L’habileté de l’équipe Vidéo du Capitole (qui a tant progressé durant le Covid) aurait su faire un « Live » historique…
Cette chronique reprend celle faite en 2017 (presque prémonitoire !) avec l’ajout de la fausse conférence de presse ukraino-toulousaine écrite en s’inspirant de ce que pourrait être l’actualité.
D’abord je vous offre un peu de fiction poétique en forme d’humoresque avec cette fake-chronique …
Et n’hésitez pas à regarder la vidéo de 2017. Au disque je suis un inconditionnel de la version de Rostropovitch à la tête de l’Orchestre de National de Washington. Un Russe expatrié, ami de Chostakovitch, dirigeant un orchestre américain ! Quand je vous dis que la musique est art de paix dépassant les nationalités.