« Laurence Anyways », un film de Xavier Dolan
Le troisième film du jeune (23 ans !) petit génie montréalais nous en met plein la figure. Il faut un sacré culot, et je pèse mes mots, pour s’aventurer dans une histoire de 2h39 sur un sujet aussi risqué que celui de l’alter-sexualité. Soit donc Laurence (prénom bi dans les pays francophones), professeur de littérature à Montréal. En apparence confortablement installé dans sa trentaine plutôt bobo intello, il vit avec Fred (autre diminutif bi), une réalisatrice de cinéma. En apparence donc, car Laurence vit un drame intérieur d’une rare violence : il veut être une femme. Attention, il n’aime pas les hommes, nuance. Il adore sa copine mais un beau jour, n’y tenant plus, il passe le cap et se pointe à la fac habillé au féminin. Dans un premier temps, les regards sont complices, voire complaisants, mais rapidement une certaine raideur intellectuelle et morale va prendre le dessus, que ce soit du côté de l’université dont il se fait lourder avec pertes et fracas, du côté de Fred qui comprend puis perd les pédales, enfin du côté de sa mère (sublime Nathalie Baye) qui refuse tout net puis, elle, se ravisera. Entre temps, Laurence va cheminer dans sa peau toute neuve, faire des rencontres inimaginables, subir aussi la haine d’une société monochrome. Mais, petit soldat courageux d’un combat suicidaire, Laurence avance dans sa nouvelle vie et assume son état, celui qui lui permet de respirer et de s’accomplir. Dans cette entreprise ô combien casse-gueule, Xavier Dolan a entraîné deux comédiens d’exceptions. Et ce n’est pas par pure galanterie que je cite en premier la comédienne québécoise Suzanne Clément (Fred) mais parce qu’elle se révèle ici d’une ampleur à couper le souffle. Elle anime, entre autres, deux scènes, que vous n’aurez aucun mal à trouver, qui sont d’une violence ébouriffante. Et avec quelle justesse de ton ! Stupéfiant. Des scènes d’anthologie. Ce qui n’enlève rien à Melvil Poupaud, Laurence incroyablement crédible et formidablement émouvant. Mais voilà, ce film dure franchement une heure de trop, une heure dans laquelle il ne se passe rien, où le scénario piétine et dans laquelle le côté casse-gueule prend tout son sens… Dommage.
Robert Pénavayre