À Toulouse, les compagnies TG Stan avec POQUELIN II (Théâtre Garonne jusqu’au 10/10), et Raoul Collectif avec UNE CEREMONIE ( Théâtre Sorano – dernière ce soir 03/10), pour un décrassage vital de rentrée.
Des rentrées fracassantes, des comédiens bondissants sur les planches, voilà ce qu’il nous fallait. De l’air ! Du jeu ! Et du vivre-ensemble comme ils disent – mais du vrai, de la complicité, de l’attachement des deux côtés de la rampe! Quand on ne peut plus faire la fête, ni sortir boire un coup, ou s’arrêter devant un musicien de rue, quand la beauté de l’instantané disparaît, alors le temps devient terriblement lourd et long. Quand les salles de « sport » peuvent rouvrir sur décision de justice alors que les théâtres demeurent contraints à la jauge réduite, c’est pourtant dans ces dernières qu’on peut choisir de muscler le fameux vivre-ensemble et restaurer le plaisir de ne pas voir le temps passer.
Si vous ne connaissez pas ces compagnies, foncez! C’est absolument jubilatoire, libératoire, foutraque en mode grand art, et définitivement reconstituant!
TG Stan (les aînés) et le Raoul Collectif (les petits jeunes) sont deux compagnies belges qui nous font l’honneur d’une première à Toulouse : première francophone pour POQUELIN II de TG Stan, et première absolue pour UNE CEREMONIE du Raoul Collectif. Les deux sont devenues familières aux toulousains grâce à leur collaboration fidèle avec le Théâtre Garonne pour les premiers, avec le Théâtre Sorano pour les seconds.
Elles cultivent l’une et l’autre l’art délicat de la création collective, et une méthode de travail sans hiérarchie. Voilà qui les regarde … mais qui nous intéresse au moment d’apprécier la manière dont cette dynamique se ressent sur scène. Et là, autant vous dire que c’est un régal, une partition de free jazz où chacun semble n’en faire qu’à sa tête tout en délivrant un groove captivant. Toutes les folies déchaînées se brisent soudain pour faire place aux solos introspectifs, avant la reprise en chorus réconfortants. A tous les étages, l’intelligence crépite.
POQUELIN (Jean-Baptiste), c’est ce Monsieur Molière dont les TG Stan reprennent les grands textes (pour la deuxième fois, d’où Poquelin II) dans un montage et une relecture fantasques qui n’en demeurent pas moins très modernes. Les satires célèbres de l’Avare et du Bourgeois Gentilhomme mettent en pièces comme on sait la figure du bourgeois que l’on peut rhabiller aujourd’hui du nom de nouveau riche, obsédé par la mode et les possessions. Rien n’a changé. Du Molière sans les perruques poudrées ni les froufrous des soubrettes, mais avec la même férocité à tourner en ridicule les précieux et les tracassiers. Ne vous attendez donc pas à une reconstitution historique, parce que vous allez au contraire vous retrouver très rapidement en face d’une sorte de match de catch truqué, loufoque, grotesque, désopilant ; vous serez en connivence avec des comédiens qui ne s’en remettent qu’à eux-mêmes pour faire vibrer un théâtre essentiel, vital tant son langage scénique nous montre que la vie est aussi un petit théâtre. Et ça, c’est la maturité dans la farce.
Certes rudimentaire, la scénographie des TG Stan n’en demeure pas moins spectaculaire et a fini, au fil des créations, par devenir un de leurs attributs caractéristiques. Tout est sur la table pourrait-on dire : portant avec les costumes, accessoires en attente, machinerie et décors amovibles, et même le souffleur – qu’on sollicite tranquillement en cas de blanc. Il faut dire que ces comédiens néerlandophones donnent ce spectacle … dans la langue de Molière s’il vous plaît – chapeau bas ! (et je vous garantis que votre souvenir sera bien au-delà d’une bonne tranche d’accent belge !)
UNE CEREMONIE … Pourquoi ? Pour qui ? Ils ne savent pas mais ils sont là, les petits gars du Raoul Collectif, et avec tellement d’entrain, à se choisir un costume, à porter des toasts, à se réjouir d’être ensemble, à bredouiller un discours ou improviser un bœuf musical, à se verser du schnaps encore, à danser, et … Et forcément vient le temps où tout part en vrille, où l’irrationnel s’installe, déploie des univers fantasmagoriques, des personnages mythiques, et les archétypes de grands récits. Se révèle alors aux yeux de ces exaltés épuisés et magnifiques l’espace indispensable, vital, des joies et des défaites de leurs fragiles utopies. Ce n’est sans doute que cela, mais c’est tout cela qu’ils célèbrent au milieu de ce foutoir apparent (piqué de quelques mémorables scènes de délire complet !), qui n’est cependant pas dépourvu de cadences poétiques auxquelles la mise-en-scène accorde tout le temps qu’il faut
Là où TG Stan se met au service d’un texte classique, dans UNE CEREMONIE, spectacle écrit par les comédiens, les emprunts aux textes classiques sont minoritaires car il leur importe davantage de partager à voix haute leurs propres réflexions existentielles. La dynamique dramatique n’est donc pas la même. En somme, ils sont de leur temps, bouleversants de sincérité dans la construction de leur maturité.
photo Raoul Collectif
Mais tout ça c’est des trucs qu’on se raconte après. L’important c’est de savoir qu’on sort de ces spectacles avec le cœur qui fait boum.
Parce que bon sang oui, après des mois menés par le bout du nez à coups de breaking-news, d’alertes, de panique-au-village, et de roulements de tambour pour s’entendre asséner des mesurettes (avec leurs punitions) dignes d’une cour de récré, nous voilà t’y pas tout résignés, tout racrapotés, tout frileux à danser d’un pied sur l’autre sans oser plus rien faire au risque de se prendre 135 balles d’amende parce qu’on s’est levé de sa chaise ? On en est là ?!
Pétage de plomb pour pétage de plomb, autant s’y mettre à plusieurs. Alors pas d’hésitation : tous en scène ! Dans ces créations collectives, nous n’aurons aucun mal à tenir notre rôle de spectateur dynamique, tant les mises-en-scènes et les performances des comédien-nes vont nous aimanter, nous animer, et nous faire ressusciter de rire plus de deux heures durant. Car il s’agit bien de vitalité ré-injectée par un théâtre revenu à son épure : quelques planches, des conventions, des masques, et des récits – critiques, satiriques, outranciers, intrépides, propres à remuer les consciences et affranchir les carcans aussi puissamment qu’un carnaval des fous.
Vive ces bouffées de délire et d’enthousiasme.
Et que vivent ces saltimbanques et les planchers des théâtres qui les portent.
UNE CEREMONIE au Théâtre Sorano: dernière ce soir samedi 03/10 * raoulcollectif.be
POQUELIN II au Théâtre Garonne jusqu’au 10/10 * tg stan, le site