Deux ans après le magistral « Nostalgia », Mario Martone a présenté « Fuori » au dernier Festival de Cannes, confrontation d’une romancière habituée des cercles intellectuels avec un tout autre milieu, celui des délinquantes. D’après l’histoire vraie de Goliarda Sapienza, interprétée avec finesse par Valeria Golino. Le film a également fait l’ouverture des 21 es Rencontres du cinéma italien, qui se déroulent actuellement à l’ABC, à Toulouse.

Elodie, Valeria Golino et Matilda De Angelis dans « Fuori ». Photo Mario Spada
La vie de Goliarda Sapienza (1924-1996) est presque devenue un mythe. Née dans une famille anarchiste, elle fut d’abord comédienne – carrière modeste – et compagne du metteur en scène de cinéma Francesco Maselli. Et puis, elle se lança à corps perdu dans la littérature, passant plus de 7 ans à écrire « L’art de la joie », imposant roman qui enchaîna les refus et ne trouva d’éditeur qu’en 2005, en France, avant de devenir un classique quasi-immédiat dans de nombreux pays.
« Fuori » ne raconte pas ce combat désespéré d’une artiste pour être enfin reconnue. Il saisit pourtant Goliarda Sapienza en pleine période de doute, en 1980, quand tout semble se refuser à elle. Elle vit seule, dans un bel appartement dont elle peine à payer le loyer. La littérature ne la nourrissant pas, elle est prête à faire des ménages, à travailler comme serveuse dans des restaurants. Elle a 55 ans, aucune expérience dans ces domaines – personne ne veut d’elle. En désespoir de cause, elle vole le collier d’une amie grande bourgeoise lors d’une soirée et le met en vente. Pour ce moment d’égarement, elle écopera de deux mois et demi de prison. Expérience inédite qui, paradoxalement, lui apportera une certaine paix de l’âme, l’amitié solide de quelques délinquantes…et de quoi publier deux ouvrages remarqués (dont « L’université de Rebibbia », en 1983).
Formidable trio d’actrices
« Nostalgia », le précédent film de Mario Martone était un chant d’amour, aussi beau que douloureux, à Naples. « Fuori » raconte Rome vue par une écrivaine dépressive confrontée à un monde nouveau qui, au lieu de l’écraser un peu plus, va relancer son désir d’écriture. « En prison, il y avait une liberté folle, indescriptible », dira Goliarda Sapienza, créant un peu plus l’incompréhension à son égard. Valeria Golino, souvent vue dans des rôles de grande bringue énergique, incarne la romancière sans jamais accentuer le trait : dans la détresse, la colère ou la fièvre de créer, son regard, les plis de son visage, sa manière de tenir une cigarette suffisent à exprimer ce qu’elle ressent profondément. La comédienne connaît bien son sujet, elle qui a réalisé une minisérie adaptée de « L’art de la joie ». A ses côtés deux inconnues, Matilda de Angelis (en jeune droguée) et Elodie (prisonnière de sa passion pour un voyou) sont de formidables révélations. Quant à Mario Martone, il suit son personnage pas à pas, dans des allers-retours temporels d’une grande fluidité. Il raconte une vie qui s’effiloche et se reconstruit, sans effets superflus, parfois accompagnée du chant fragile de Robert Wyatt revisitant à sa manière des standards du jazz comme « Round midnight ». Belle partition pour un beau portrait de femme.
« Fuori », de Mario Martone, au cinéma mercredi 3 décembre.

