Cervantès avant Don Quichotte, un film d’Alejandro Amenabar
Affronter le personnage de Miguel de Cervantès est d’une audace folle, vous en conviendrez. D’ailleurs peu de cinéastes l’ont fait. Alejandro Amenabar, certainement l’un des réalisateurs de culture espagnole le plus titré de l’histoire du cinéma ibérique, se lance dans cette entreprise, tout en réduisant son biopic à cinq années.

Julio Peña Hernandez (Miguel de Cervantès) et Alessandro Borghi (le pacha) – Crédit : Lucia Faraig
Miguel de Cervantès (1547-1616) aimait les armes plus que la littérature. Aussi s’engage-t-il très jeune dans l’armée. C’est d’ailleurs au cours de la Bataille de Lépante (1571) qu’il faillit perdre un bras. Il en revint avec une main et un bras handicapés, d’où son surnom de Manchot de Lépante. Justement c’est sur le chemin du retour qu’il va être fait prisonnier par les barbaresques qui, déjà, avaient pour habitude de capturer des personnalités afin de les échanger contre espèces sonnantes. C’est à Alger qu’il va rester captif pendant cinq longues années avec une foultitude d’autres prisonniers, nobles ou hommes d’église. Dans la cour de la prison à ciel ouvert, il passe son temps à divertir ses compatriotes d’infortune en leur racontant des histoires sous forme de feuilleton. Les applaudissements nourris qui saluent ses interventions n’ont pas échappés au pacha dont ils sont prisonniers. Ce dernier l’invite à faire de même pour lui. Pour récompense, il lui donne la permission de sortir en journée du palais. Au fur et à mesure de leurs rencontres, une attirance évidente naît entre les deux hommes. Le pacha est homosexuel et tout le monde le sait. Le scénario semble vouloir nous convaincre qu’il en est de même pour Miguel. Il se serait d’ailleurs engagé dans l’armée pour fuire une affaire… délicate. Du moins en Espagne. Et nous voilà dans un véritable remake du conte oriental ayant pour héroïne Shéhérazade. Alejandro Amenabar va tout de même un peu plus loin. Le film, habilement monté, parle de récits dans le récit, floutant les frontières entre la réalité et l’imagination débordante de l’écrivain. Le scénario creuse le sillon d’une religion chrétienne intolérante, à l’inverse de celle de l’empire ottoman. Les fractures sociales d’une Espagne catholique sont ici surlignées. Mais le plus important est certainement l’altérité dont va faire preuve Miguel de Cervantès au cours de cette captivité., une altérité qui nourrira plus tard son œuvre.
Le choc des cultures est ici violent et traduit à l’écran avec un soin artistique éblouissant. Certes, tout n’est pas universitairement informé mais tout de même l’essentiel historique est là. Julio Peña Hernandez campe un Miguel fort, fragile, ambigu et troublant à la fois face au pacha philosophe et convaincant d’Alessandro Borghi.
Don Quichotte et Sancho Panza font une brève et subtile apparition … Leur roman fut écrit au début du 17e siècle.
Un film porteur de promesses pour tous ceux qui veulent bien s’ouvrir au monde.