En 2018, le luthiste Thomas Dunford a réuni les membres de son ensemble Jupiter, répondant au désir d’insuffler une nouvelle vie aux chefs-d’œuvre du baroque. Le jeudi 2 octobre à 20h au Théâtre du Capitole, ils vont porter la majestueuse chrétienne suivant la grâce Theodora à incandescence. Haendel et son librettiste Thomas Morell se concentrent sur le conflit intérieur de la jeune princesse persécutée, et amoureuse du centurion Didymus. Nous sommes dans les territoires romains de l’Empire d’Orient, à Antioche. La lutte entre foi chrétienne et paganisme romain est le levier dramatique exacerbé par le destin funeste des deux héros convertis, sacrifiés par le gouverneur romain, mais aussi par le peuple.

Théodora et Didyme
Quelques éléments sur l’ouvrage :
L’Oratorio est en trois actes ou parties sur un livret de Thomas Morell, composé entre le 28 juin et le 31 juillet 1749, et créé le 16 mars 1750, au Théâtre Royal de Covent Garden à Londres. Remanié à deux reprises jusqu’à la veille de sa mort. Haendel a 64 ans. Frappé progressivement de cécité par un problème de cataracte, il ne consacre qu’environ un mois, comme d’habitude d’ailleurs, à la conception surtout des oratorios. C’est l’avant-dernière œuvre du musicien, qui précède Jephta, son ultime chef-d’œuvre.
Dans ce drame philosophique et musical profondément émouvant, on perçoit clairement que Haendel n’a pas oublié son talent de compositeur d’opéras, avec le plaisir de chœurs remarquables en plus ! Jamais autant de couleurs et nuances musicales n’auront été déployées pour exalter la vertu et la foi. Une foi d’airain qui va jusqu’au sacrifice de soi-même. Haendel est initié à l’oratorio italien depuis son voyage dans les duchés et républiques italiens de la “botte“ alors qu’il a juste la vingtaine. Il ne reviendra à ce type d’ouvrage qu’à partir des années où il remarque le déclin de l’opera seria et de l’engouement aussi du public anglais pour l’opéra italien fortement en chute. Il se lance alors dans l’oratorio anglais fondé sur des épisodes narratifs, et notamment l’Ancien Testament, comme Samson (1743) ou Jephta (1751).

Georg Friedrich Haendel par Thomas Hudson
Theodora sera le seul oratorio de son compositeur fondé sur un sujet chrétien, tiré d’une pièce de Corneille et d’un roman d’un certain Robert Boyle que Thomas Morell, érudit, homme d’église et surtout polygraphe abondant, adaptera en livret. Le public anglican se reconnaissait volontiers dans les tenants de la vraie foi, Hébreux de l’Ancien Testament comme chrétiens de Theodora, oppressés par les ennemis de Dieu. C’est dans Theodora, qu’il y a le préféré de Haendel de tous ses chœurs, à savoir le chœur final du second acte soit, “he saw the lovely youth“.
Oratorio pur ou théâtre déguisé, Theodora frappe par une force dramatique qui n’a rien à envier aux meilleurs opéras de son temps. C’est l’histoire du martyre de la jeune princesse d’Antioche, chrétienne, et de l’officier romain Didymus, qu’elle a converti, de leurs chastes amours et de leur foi inébranlable en la chrétienté. La Théodora de Haendel aime, souffre, et meurt pour sa foi avec une bouleversante sincérité. Une histoire qui, sans difficultés, s’écrit dans un cadre dramatique découpé en actes et en scènes et facilitant l’alternance propre à l’opéra de récitatifs faisant avancer l’action pendant qu’arias et duos encensent l’oreille. Mais, la longueur de la partition, plus de trois heures de musique dans sa version initiale et le sujet lui-même, thème tragique à souhait, n’aideront pas à soutenir l’attention du public.
Les deux premiers actes s’ouvrent sur une scène d’apparat : le gouverneur de la province d’Antioche, Valens, chanté par la basse Alex Rosen, s’adresse à ses administrés en des discours pleins de flamme et de haine pour le groupe dissident des chrétiens, et le chœur des païens répond avec enthousiasme à ses discours. Le reste de ces deux actes est laissé aux chrétiens : la noble Théodora, la mezzosoprano Léa Desandre, ses compagnons, et surtout Irene, la soprano Véronique Gens, inspiratrice et force morale de la petite communauté. Elle incarne la compassion et le soutien moral, mais aussi le calme fondement de la foi. En un mot, plus “nourrice shakespearienne que noble confidente“.
Après l’ouverture, Valens décrète la mort de ceux qui ne participeront pas au culte impérial de Jupiter, et les chrétiens guidés par Théodora décident de défier le décret ainsi proclamé. Théodora est alors arrêtée et menacée d’être livrée aux sévices d’une maison de débauche. Au second acte, après avoir assisté au culte païen, l’auditeur découvre Théodora seule dans sa prison. Tandis que les chrétiens prient pour elle, elle est délivrée par Didymus, chanté par Hugh Cutting (à la création, ce fut le castrat alto Gaetano Guadagni) avant de revenir auprès de ses compagnons. Laurence Kilsby chante Septimius, le soldat romain, vertueux millitaire, ami de Didymus.
Contreténor britannique Hugh Cutting est la révélation du dixième Jardin des Voix de William Christie. Il a été écrit qu’il possède « une maîtrise supérieure, tant sur le plan vocal que musical, se livrant à des interprétations originales, passionnées et passionnantes. Il séduit par son autorité en tant que chanteur, frappant par la justesse de ses intentions. »
Fin de l’acte III, les deux camps farouchement opposés vont se rencontrer : cette fois, l’acte s’est ouvert par l’arrivée de Théodora chez les chrétiens, avant qu’elle ne décide d’aller s’offrir en sacrifice pour tenter de sauver Didymus, lui-même condamné à mort après s’être compromis pour la sauver. Après un dernier duo, le cœur plein de bonheur, ils vont au martyre, tandis que la foule chrétienne chante la gloire de l’amour divin. Ils sont tous deux exécutés, Valens étant resté intraitable et Septimius ayant prêché en vain la clémence auprès de son brutal supérieur.
L’ouvrage étant donné en version concert, il nécessite un support musical le plus efficient possible afin de soutenir les actions et les passions. Notons l’importance des chœurs, que le public anglican adore tant, chœurs qui illustrent les caractères opposés des deux groupes en présence. À savoir, les païens chantent des chœurs simples mais richement orchestrés, vigoureux tandis que les chrétiens expriment leur foi dans de puissants ensembles majestueux et austères. Et, pour qui est capable de se préoccuper des tonalités et des mouvements tout au long de l’ouvrage, c’est un véritable fourmillement dans l’écriture du compositeur : un Génie, quoi, et le terme est faible.

Léa Desandre © Stefan Brion
Née en 1993, la mezzo-soprano Léa Desandre commence le chant en tant que choriste dans la Maîtrise de l’Opéra national de Paris puis étudie au Conservatoire de Boulogne et à Venise. Durant douze années, elle travaille parallèlement la danse classique puis y renonce suite à un accident pour se consacrer pleinement au chant. Après avoir intégré Opéra Fuoco (compagnie lyrique créée par le chef d’orchestre David Stern), la chanteuse franco-italienne fait ses débuts solistes en créant le rôle de Dorabella dans Cosi Fanciulli de Nicolas Bacri en 2014. La même année, elle rejoint Les Arts Florissants en Sesto dans Jules César à l’occasion du premier Shanghai Baroque Festival. Entre autres faits, en 2015, elle a rejoint l’académie du Jardin des Voix de William Christie et l’académie Mozart du Festival d’Aix-en-Provence en 2016. Elle est nommée Révélation des Victoires de la Musique Classique en 2017, et “artiste lyrique de l’année” à l’occasion des prestigieux Opus Klassik 2022.

Thomas Dunford © Julien Benhamou
Né à Paris en 1988, Thomas Dunford découvre le luth à l’âge de 9 ans. Il poursuit ses études au Conservatoire de Paris où il obtient un premier prix à l’unanimité puis à la Schola Cantorum de Bâle. Il participe à de nombreuses masterclasses avec des luthistes réputés. Il fait ses débuts en 2003 en jouant le rôle du luthiste dans La Nuit des Rois de Shakespeare à la Comédie-Française. Depuis, il donne des concerts dans le monde entier. Thomas Dunford est régulièrement invité à diriger ou à jouer avec des ensembles et orchestres, parmi lesquels Les Arts Florissants, l’Academy of Ancient Music, La Cappella Mediterranea ou Pygmalion. Depuis 2017, il dirige aussi des productions.
En 2018, il crée son propre ensemble, Jupiter, né de la rencontre et de l’amitié avec des musiciens de sa génération, avec lequel il se produit dans les plus grandes salles d’Europe et des États-Unis. Leur premier disque, consacré à Vivaldi, est sorti en 2019. Ont suivi « Amazone », programme de récital franco-italien avec Léa Desandre, en 2021, et « Eternal Heaven », dédié aux oratorios de Haendel avec Léa Desandre et Iestyn Davies, en 2022. Précédemment, Thomas Dunford avait reçu de nombreuses récompenses pour des disques solo.