Moins connu que ses compatriotes Martin Amis, Jonathan Coe et Ian McEwan, Graham Swift n’a publié qu’une dizaine de livres. Son recueil de nouvelles, « Douze histoire d’après-guerre », est un condensé de son art, tout de délicatesse et de puissance émotionnelle.

Graham Swift © Janus Van Den Eijndem / Gallimard
Son livre le plus admirable s’appelle « Le grand jeu ». Publié en 2021 en France, ce roman assez bref (180 pages) réussissait la prouesse de jongler avec les ambiances et les époques (1959 puis 1940 et enfin 2009) tout en accompagnant trois personnages au cœur de leurs états d’âme et de leurs passions amoureuses. Quittant le monde des cabarets, à Brighton, à l’aube des années 1960, l’Anglais Graham Swift s’amuse à nouveau avec le temps au fil de ses « Douze histoires d’après-guerre ». En août 1944, dans une petite ville minière, une jeune femme ose engager la conversation avec un soldat noir américain, s’exposant ainsi à la colère d’un père violent (nouvelle « Noir »). De nos jours, pendant la pandémie, un médecin veuf se souvient de la rougeole qui l’avait frappé, enfant, dans les années cinquante – et de la tendre attention dont il avait bénéficié de la part du médecin de famille, élément clé de sa vocation (« Rougir »). Un autre veuf, déjà terrassé par la mort de sa femme, doit faire face au suicide de sa petite-fille, «qui lui ressemblait tant» et avait « la beauté, la jeunesse et tant d’autres atouts ». Il se rend dans l’université où le drame s’est déroulé, cherchant à meubler l’insoutenable absence en visitant une chambre désertée (« La beauté »). En 1999, un couple de trentenaires part en vacances à Chypre avant de se décider à enfin procréer. Madame adore nager. Quant à monsieur, il ne cesse de penser à l’année de ses 5 ans et à la complicité qui l’unissait à sa mère («Les gosses»). Fan de foot, un Londonien pense à son père, qui « sous des dehors de paisible fumeur de pipe était un ragoût de hargne et de rogne ». Ce père, pestant contre tout le monde, avait vécu la Seconde Guerre mondiale et assisté, dans sa jeunesse, en 1936, à l’incendie du Crystal Palace, folie architecturale typiquement victorienne qui périclita rapidement…(«Palace»).
Contre l’effacement, contre la poussière du temps, Graham Swift fait revivre des femmes et des hommes du passé, remontant le flot tumultueux des générations. Le monde est recouvert de cendres, dont il ravive la flamme, d’ossements, dont il reconstitue le squelette. Quelques phrases de la nouvelle « Rougir » – celle du médecin pendant la pandémie se remémorant l’anniversaire de ses dix ans – disent tout de l’art à la fois délicat et puissant de l’écrivain : « Il revoyait les vénérables arbres aux reflets mordorés, veillant, telles des sentinelles, sur les jardins. Il revoyait la pelouse. Son père l’avait tondue spécialement la veille de son anniversaire. Et avant la fin de l’année son père était parti. Il revoyait les robes de fête. Il revoyait cette panoplie de maladies si vaillamment endurées par de petites âmes, puis joyeusement laissées derrière soi. Il revoyait Mme Simms. Ses épaules nues. Il revoyait sa mère. Et il se revoyait lui-même au lit à peine une semaine plus tard, sa mère penchée au-dessus de lui… »
« Douze histoires d’après-guerre », de Graham Swift (Gallimard, traduit par France Camus-Pichon, 275 pages, 23 euros).
« Douze histoires d’après-guerre » • Gallimard