Depuis sa création, la compagnie À bout de souffle explore la musique comme une expérience collective et sensible, où la voix – chantée ou parlée – occupe une place centrale. À travers des spectacles musicaux originaux, elle conjugue exigence artistique et accessibilité, croisant musique classique et lyrique avec le théâtre et d’autres disciplines scéniques. Son engagement ne s’arrête pas à la scène : la transmission et le partage sont au cœur de son projet, que ce soit à travers la formation du chœur amateur, des actions de médiation culturelle ou des spectacles participatifs.

Stéphane Escoubet, Muriel Benazeraf et Stéphane Delincak – Photo Arthur-Ferrari
A l’occasion de son prochain spectacle autour d’Erik Satie, Piano en forme de poire, au Théâtre du Pavé, le directeur musical de l’ensemble, Stéphane Delincak a bien voulu évoquer la création et l’évolution de cette formation hors norme ainsi que le contenu et la forme de cette nouvelle production.
Comment a été fondé l’ensemble A bout de souffle et avec quelle répartition entre la partie instrumentale et la partie vocale ?
Le projet À bout de souffle a vu le jour de manière informelle au début des années 2000, lorsque j’étais encore étudiant en musicologie et en piano, j’ai réuni des amis et connaissances dans mon salon pour partager ma passion du chant et de la musique et explorer ensemble le vaste répertoire polyphonique, de Monteverdi à David Bowie en passant par Rameau, Fauré, Poulenc…
Fin des années 2000, le chœur amateur devient une entité à part, l’ensemble À bout de souffle se professionnalise. Il accueille instrumentistes baroques ou modernes, chanteurs lyriques et comédiens talentueux au gré de nos différents spectacles et collabore étroitement avec le metteur en scène Patrick Abejean pendant quinze ans. Le nombre d’artistes peut varier de 2 à 30 professionnels, de la forme récital théâtralisé à des formes opératiques. L’ensemble instrumental peut aller de trois à vingt musiciens, la troupe vocale de deux à dix artistes. Depuis 2024, nous travaillons avec de nouveaux metteurs en scène et continuons d’explorer le répertoire du baroque à nos jours.
Quels en étaient les membres réunis au début ? Quelle était la part de chacun de ces volets y compris celui du spectacle ?
Le premier orchestre baroque a été fondé avec ma très chère et regrettée Martine Tarjabayle, premier violon, pour un Didon et Enée mis en scène par Dédeine Volk Leonovitch, avec cinq chanteurs lyriques dont Isabelle Fabre, Nadia Lavoyer, Corinne Fructus, Antonio Guirao…
En 2010 le projet Platée de Rameau, imaginé avec Patrick Abejean, nous amène à agrandir l’orchestre (18 musiciens) avec notamment Marjolaine Cambon au violoncelle, Didier Borzeix au clavecin, le regretté Jean-Christophe Maillard à la flûte, Michele Zeoli au violone… Participent également des chanteurs solistes : parmi eux Aurélie Fargue en Folie, Stéphanie Barreau en Junon, Paul Crémazy qui y tenait le premier rôle et Pierre Emmanuel Roubet pour son tout premier rôle lyrique jouait Mercure, ainsi que le chœur amateur de 40 chanteurs, non seulement formé au chant et au théâtre, mais aussi impliqué dans chaque corps de métier de l’opéra, des accessoires aux costumes…
Dans le même temps l’ensemble crée des récitals en jeu comme celui qui se produit encore aujourd’hui – De Don Quichotte à Figaro – où j’accompagne au piano le baryton Benoît Duc.

L’ensemble vocal et instrumental A bout de souffle dirigé par Stéphane Delincak – Photo Classictoulouse –
Quels ont été les premiers spectacles et avec quelle répartition entre l’opéra et le concert ?
Comme évoqué, Platée a été un tournant décisif avec la version en salle et fosse créée au théâtre Jules Julien puis repris au festival de Sylvanès et à Odyssud, avec des versions déambulatoires en plein air, aux jardins du Muséum ou encore dans la fontaine de la place Wilson à Toulouse.
Tous les spectacles sont mis en scène et s’adaptent aux différents espaces grâce à des artistes de haut niveau et ayant le goût de l’aventure !
Nous alternons des opéras en version complète et mis en scène (Platée, The Fairy Queen) avec orchestre baroque, solistes et chœurs, et des programmes mis en espace.
Ainsi, le spectacle Maintenant que le ciel aborde la musique polychorale au tournant du XVIIe en Italie aux sources de la création du genre opératique. Nous avons pu expérimenter la spatialisation jusqu’à sept chœurs dans l’Auditorium Saint-Pierre des Cuisines, ainsi que la soprano soliste Anne-Laure Touya, le tout accompagné par un ensemble Renaissance de sept instrumentistes (cordes, cuivres anciens…).
Comment a évolué la composition de l’ensemble et le répertoire abordé ?
La période baroque de Monteverdi à Rameau est prédominante entre 2010 et 2020, nous fidélisons des instrumentistes, et en accueillons de nouveaux comme Yvan Garcia au clavecin, Olivier Briand au premier violon, Sylvain Sartre à la flûte. Nous travaillons avec les chanteuses et chanteurs lyriques Hélène Delalande, Laurent Labarbe, Anaïs Constans (concert Francis Poulenc en partenariat avec l’Orchestre universitaire de Toulouse)…
Après 2020, nous partons explorer la musique du XVIIIe tardif en arrangeant pour le trio clarinette, percussions et accordéon (Grégory Daltin puis Angel Villart) de Rameau à Gossec, puis de la musique romantique avec dernièrement le spectacle Élixirs ? Pagaille vocale all’italiana, un opéra de rue coproduit par Odyssud et le Centre national des arts de la rue L’Usine. Dans cette forme conçue pour être jouée dans l’espace public, 10 chanteurs et instrumentistes réinterprètent librement et avec beaucoup d’humour L’Élixir d’amour de Donizetti. Le public, disposé au centre du jeu, participe activement au spectacle et découvre la musique lyrique de façon inhabituelle et décalée.

Le spectacle Sacrées Histoires – Photo Paul Sicard –
Quelle est la forme particulière du prochain spectacle des 28, 29 et 30 mars, Piano en forme de poire, consacré à Erik Satie ? Quels en seront les acteurs ?
Ce nouveau spectacle s’inscrit dans la continuité de la ligne artistique de la compagnie et rend hommage au répertoire classique dans une forme théâtrale. Le piano au centre, la comédienne Muriel Benazeraf et mon binôme au piano, Stéphane Escoubet, m’accompagnent sur scène.
C’est un concert théâtralisé, nous abordons le répertoire de piano à deux et quatre mains de ce compositeur hors norme, Muriel propose un dialogue avec ces œuvres en interprétant des textes issus de la production littéraire d’Erik Satie, essais, correspondances, fausses annonces… à l’image du personnage, à la fois sensible et excentrique.
Quelle est pour vous la place d’Erik Satie dans la musique de son époque ? Et notamment quels sont ses rapports avec Claude Debussy ?
Erik Satie est un précurseur. Avec Muriel et Stéphane, c’est un personnage auquel nous nous sommes beaucoup attachés en rentrant dans son œuvre musicale et en lisant ses textes. Tout en sachant au fond de lui qu’il proposait une musique nouvelle et créait un univers musical inédit, en totale opposition de l’académisme conservateur, il doutait aussi terriblement de lui-même, si bien qu’il décida de reprendre les études à 40 ans passés et de s’inscrire en cours de composition à la Schola Cantorum.
Pourtant sa musique traverse le XXe siècle en semblant toujours actuelle de nos jours, la preuve en est du nombre d’artistes contemporains dans diverses esthétiques qui le reprennent, le citent, le réorchestrent, le remixent… Il était considéré par John Cage entre autres comme le père de la musique minimaliste.
Ses rapports avec Claude Debussy sont à l’image de ces paradoxes. À la fois, ils ont respectivement une immense admiration l’un pour l’autre, Satie lui faisant parfois relire des manuscrits, mais la vie de Satie est aussi ponctuée de ruptures et disputes. Il montrera même une certaine jalousie envers Debussy, ce dernier ayant atteint la plus grande célébrité notamment à l’époque de la création de Pelléas, alors que Satie reste un compositeur de « deuxième ordre » pour le public de l’époque.
Dans le spectacle, la musique et les paroles de ce créateur hors norme seront-elles mêlées ?
C’est un véritable dialogue qui prend vie entre ses textes et sa musique. Nous avions un corpus d’œuvres au départ que nous souhaitions jouer avec Stéphane, Muriel avait identifié un certain nombre de textes truculents ou très émouvants de Satie.
Ainsi, certaines musiques sont entendues dans la résonance des paroles du compositeur ou bien c’est la force d’un texte qui nous a amenés à choisir une pièce musicale pour lui répondre. Il arrive aussi que musique et texte s’imbriquent de manière plus rapprochée et permettant aussi de donner quelques repères biographiques afin de connaître un peu mieux cet artiste inclassable à la sortie du spectacle…
Quelles œuvres de Satie allez-vous aborder ?
Piano deux mains :
Première Gymnopédie (1888)
Gnossiennes 1, 2, 3, 5 (1889-1891)
Le Piccadilly (1904)
Véritables préludes flasques (pour un chien) (1912)
– Sévère réprimande
– Seul à la Maison
– On joue
Embryon desséché d’Holothurie (I) (1913)
Deux cycles pour piano quatre mains :
– Trois Morceaux en forme de poire (1903)
– La Belle Excentrique (1920)
et d’autres surprises…
Propos recueillis par Serge Chauzy le 17 mars 2025
Le spectacle Piano en forme de poire sera présenté au Théâtre du Pavé :
– vendredi 28 mars à 20h30
– samedi 29 mars à 20h30
– dimanche 30 mars à 16h
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse