Après une licence en chant et piano suivi d’un doctorat en accompagnement au piano en Floride, ce jeune Américain, né dans le Missouri il y a tout juste 30 ans, s’envole vers l’Europe et atterrit en France. Baryton de son état, tout autant que pianiste, il n’a pas pu se décider à lâcher l’un pour l’autre dans le cadre d’une carrière professionnelle. Levi Gerke est donc devenu chef de chant. Il n’a pas fallu longtemps à l’Opéra national du Capitole pour engager ce tout jeune talent et lui faire intégrer ses rangs afin d’assurer ainsi l’une des missions « de l’ombre » les plus importantes d’une représentation lyrique.
Rencontre avec un enthousiaste lumineux

Levi Gerke © Klara Beck
Classictoulouse : Vous êtes pianiste et chanteur, baryton en l’occurrence. Vous n’êtes pas arrivé à vous décider pour l’une des deux disciplines. Donc, vous pratiquez les deux en restant dans le domaine de la musique et du chant. A quel moment avez-vous pris la décision et pourquoi ?
Levi Gerke : Effectivement j’ai une voix de baryton Martin. Mais à un moment il fallait que je m’oriente vraiment soit vers le piano, soit vers le chant. J’ai eu la chance d’avoir un professeur de piano qui était également chef de chant. C’est elle qui m’a fait découvrir ce métier. Pour moi c’est la conjugaison parfaite entre mes deux passions musicales.
Vous êtes venu rapidement en France. Qu’est-ce qui vous a attiré dans notre pays ?
Dès mes études terminées j’ai rejoint la France pour des convenances personnelles tout d’abord, mais pas seulement. Votre pays m’attire depuis toujours, il fait bon y travailler, y vivre aussi. C’est tellement différent des Etats Unis ! De plus la langue et la culture françaises m’intéressent beaucoup. Je suis arrivé au moment du deuxième confinement Covid. Ce n’était pas l’idéal pour le travail mais j’ai passé le concours pour intégrer l’Opéra Studio du Rhin et j’ai été pris comme pianiste chef de chant. J’y suis resté deux saisons puis je suis parti pour Toulouse en gagnant le concours de pianiste du Chœur de l’Opéra national du Capitole dirigé par Gabriel Bourgoin. Ce que j’ai fait pendant une année avant de succéder à Robert Gonnella, l’iconique chef de chant du Capitole qui prenait sa retraite.

Levi Gerke © Klara Beck
Définissez-nous l’activité d’un chef de chant dans un théâtre lyrique.
Le chef de chant est un pianiste qui est à disposition des chanteurs pour les aider. Le chef de chant « remplace » l’orchestre pendant les répétitions scéniques avant que l’orchestre arrive. Il travaille aussi en tête à tête avec des chanteurs lorsque ceux-ci demandent des conseils sur des passages vocaux, stylistiques ou idiomatiques délicats. Mon travail consiste à les mettre dans un état de confort maximum. Pour vous donner un exemple, et concernant Norma, cela fait aujourd’hui près d’un mois que nous travaillons au piano avec les chanteurs. L’orchestre ne sera là que pour les quatre ou cinq dernières répétitions avant la première publique. Cela ne veut pas dire que je suis seul pendant tout ce temps. Soit le chef, soit son assistant est là également pour donner une indication de tempo, de départ, etc. La perception du son n’est pas la même pour le public et les chanteurs, donc le chef de chant leur sert d’oreilles extérieures.
Votre relation avec les chanteurs n’est pas exclusivement technique. On peut imaginer que certains viennent chercher aide mais aussi réconfort, non ?
Si je suis là pour trouver des solutions avec les chanteurs, je suis là aussi pour les rassurer. J’estime à 70% le temps de mon travail dans le relationnel psychologique que je dois entretenir, créer avec les chanteurs. Sans perdre de vue, et c’est très important de le souligner, que je ne suis pas professeur de chant. C’est un tout autre métier. Je suis là pour dire ce que j’entends. Il appartient au chanteur de trouver dans sa technique la solution pour résoudre un éventuel problème. Tout en lui donnant un maximum d’informations malgré tout.
Venons-en à cette Norma. C’est la première fois que vous travaillez sur cet opéra si emblématique du bel canto ?
Oui, c’est ma première fois pour Norma mais, vous savez, pour mes dix prochaines années il va y avoir beaucoup de premières fois !
Comment l’avez-vous abordé ?
J’ai tout d’abord écouté beaucoup d’enregistrements afin de savoir comment cet ouvrage était envisagé par le passé. Mais j’ai également, suite à mes études, une idée personnelle sur le style bel cantiste. Ceci étant, c’est le chef d’orchestre de la production qui donne le tempo et je travaille donc en étroite proximité avec lui. C’est lui le patron, le référent musical de la partition. Mais pour en revenir à votre question, j’étudie la partition, ce qu’a écrit le compositeur et je compare avec ce que j’entends sur les disques. Je me pose alors la question de l’interprétation. Pourquoi à telle ou telle époque jouait-on Norma de cette manière ? Une autre question est de savoir s’il faut à tout prix rester fidèle à une tradition répondant à des esthétiques passées. Tout en respectant la partition s’entend. Chaque artiste doit se poser cette interrogation. Je vous parlais tout à l’heure d’enregistrements. Je dois dire qu’il y en a un que je pourrais écouter en boucle, c’est celui avec Montserrat Caballé. C’est unique, légendaire. Evidemment Callas aussi. Mais quand j’écoute un cd de Norma je ne dois pas qu’écouter les chanteurs. Je fais très attention à l’orchestre car lorsque je vais jouer la partition pour les chanteurs il faut que je sois le plus près possible du son de l’orchestre en termes de dynamiques et de couleurs. Même si, dans l’absolue, c’est mission impossible, le seul moyen de s’en approcher est d’avoir le son de l’orchestre dans l’oreille. Et en la matière, dans ce répertoire, je suis un grand fan de Riccardo Muti. En respectant parfaitement les partitions il arrive à nous faire entendre mille détails de reliefs et de couleurs que l’on n’entend nulle part ailleurs. Il sait donner à ces partitions leur véritable valeur musicale.
Travailler avec deux distributions est un vrai challenge car les instruments vocaux ne sont pas forcément les mêmes…
C’est très vrai aussi pour le chef d’orchestre car en fonction des chanteurs il s’agit d’adapter les tempi, les rubati, etc. Personnellement je suis ravi d’avoir deux distributions, plein de voix différentes et pour un jeune chef de chant comme moi, c’est formidable. Plus de travail certes mais ce n’est que du bonheur.
Votre activité nécessite la maîtrise de plusieurs langues
Effectivement ! En terme de prosodie, je maîtrise l’anglais, le français, l’allemand et l’italien. Il faut que je me penche un jour sur le russe. Après ma première Norma, j’aborde mon premier Wagner, ce sera Le Vaisseau fantôme dans quelques semaines. Ce qui est fascinant dans ce métier c’est que l’on peut aborder tous les répertoires. Ce qui n’est pas le cas des chanteurs par définition.
Quel regard portez-vous sur cette première année d’activité au Capitole de Toulouse ?
Je vais être franc et direct avec vous. Dans un cadre exceptionnel, avec des artistes qui ne le sont pas moins, une saison avec des ouvrages magnifiques, je suis en train de réaliser mon rêve.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse
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