Critique. Théâtre. ThéâtredelaCité. Toulouse, le 5 mars 2025. LEVIATHAN. Texte de Guillaume Poix. Conception et mise en scène de Lorraine de Sagazan/La Brèche.
Notre Justice plus misérable que terrible.
Cette pièce est concue comme un reportage télé didactique. Le sujet est brulant, dérangeant et inquiétant. La comparution immédiate après une garde à vue est étudiée à travers plusieurs mois passés à la 23 ième chambre du tribunal de Paris. Le texte ne peut donc pas être sujet à caution, il est la vérité. Tout ce qui peut être discuté est le choix des exemples choisis.
Le sens de la pièce est déplié dans ses moindres détails : la Justice poussée à l’extrême par cette procédure peut devenir une figure du Léviathan, ce monstre formidable de puissance.
Le dispositif scénique est complexe et la virtuosité du jeu d’acteur est sidérante. Se font face une salle d’attente et une longue table derrière laquelle se tient la Présidente du Tribunal et ses innombrables dossiers.
Un grand écran au fond projette le Leviathan ou les visages des accusés en direct ou des petits films. Le jeu de la Présidente est celui d’une poupée mécanique avec un mélange de ridicule, de charme et d’effroi. Le procureur reste debout ou en retrait avant une prise de parole très attendue et ses mots sont toujours déshumanisants. Les avocats sont avec les accusés ou font les cent pas dans la salle. Les personnes jugées ont le visage recouvert d’un bas. Cela écrase leurs traits.
Le public est mis dans la même difficulté que la Présidente du Tribunal. Des grands moments de musique/bruits à la limite du supportable nous empêchent de penser. Le désordre peut envahir la scène et la salle de laquelle les comédiens sont arrivés ou ils partent s’y cacher. La plafond du décor sorte de voiles de mousse rose évoquant plus un boudoir qu’un tribunal et va même respirer lors du moment le plus terrible. Il y a quelque chose de l’incestuel dans celle justice minimaliste. Car les histoires de vie des accusés sont complexes et remplies de malheurs et sont presque tous des cas psychiatriques. Il n’y a pas de temps pour les déplier.
C’est comme si dans cette complexité le juge ne pouvait se raccrocher qu’au code et donc suivre celui qui n’est perturbé par rien : le Procureur. Cette justice déshumanisée et froide préserve la forme à tout prix en oubliant le fond. Les peines sont lourdes et semblent abusives pour les profanes.

LEVIATHAN
Festival d Avignon
Texte Guillaume Poix Collaboration au texte Lorraine de Sagazan
Conception et mise en scene Lorraine de Sagazan
Dramaturgie Agathe Charnet, Julien Vella Choregraphie Anna Chirescu Musique Pierre-Yves Mace Son Lucas Lelievre Scenographie Anouk Maugein Lumiere Claire Gondrexon Video Jeremie Bernaert Costumes Anna Carraud, Marnie Langlois, Mirabelle Perot Masques Loic Nebreda
Perruques Mityl Brimeur Assistanat a la mise en scene Antoine Hirel
Avec Jeanne Favre, Felipe Fonseca Nobre, Jisca Kalvanda,
Antonin Meyer-Esquerre, Mathieu Perotto, Victoria Quesnel, Eric Verdin
La présence d’un cheval sur scène apporte quelque chose d’une chaleur animale qui fait si cruellement défaut. Mise en scène, scénographie, jeu d’acteurs tout est parfait et cette somme crée un spectacle intense, puissant, hyper précis voir virtuose. Il n’a qu’un défaut, il est trop didactique et par trop manichéen. Toutefois la pensée en sortant de la pièce nous « travaille » plusieurs jours. Les questions sans réponses nous habitent … Cela fait partie du théâtre après tout !
Hubert Stoecklin
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