L’Institut Cervantes, à Toulouse, nous réserve une belle surprise avec l’exposition consacrée à Nicolas Muller, photographe inconnu en France, alors que le Pavillon Populaire, à Montpellier s’intéresse à l’œuvre, politique et sociale, de Gisèle Freund.
Avons-le, nous n’avions jamais entendu parler de Nicolas Muller, photographe né en Hongrie en 1913 et mort en Espagne en 2000. La vie de cet homme fut un roman, écrit au fil des soubresauts de l’Histoire. Devant quitter son pays lors de la montée du nazisme, Nicolas Muller passa quelques temps en France avant de s’installer comme photographe à Tanger, au Maroc. C’est enfin à Madrid, après la Seconde Guerre mondiale, qu’il trouva refuge pour le reste de son existence. L’Institut Cervantes rend hommage à ce promeneur infatigable, toujours intéressé par ce qui pouvait se passer sous ses yeux. A l’instar du Toulousain Jean Dieuzaide et de son empathie pour l’homme de la rue, Nicolas Muller fixe sur pellicule un banal transfiguré par son regard, aiguisé, et le cadrage, toujours soigné. Les tirages présentés à Toulouse, au format carré, sont de belle qualité.
En 1935, une baigneuse prend le soleil sur des piles de bois. En 1938, une ronde joyeuse se déploie dans un pré de Haute-Savoie. La même année, deux Traction reposent sous la neige place de la Madeleine. En 1939, un photographe choisit une façon acrobatique pour portraiturer un visiteur de la Tour Eiffel. En 1941, trois avions volent au-dessus d’une tente, dans le désert saharien. En 1942, à Tanger, des écoliers bien sages posent dans une classe. Les années 50 sont celles où Nicolas Muller assure de nombreux portraits. Et ces visages d’Espagnols tout frais ou biens ridés nous rappellent ceux que Jean Dieuzaide fit à la même époque… Beau retour sur le passé que nous offre l’Institut Cervantes.
Il ne reste que quelques jours pour voir l’exposition « Gisèle Freund, une écriture du regard » au Pavillon Populaire, à Montpellier. Née à Berlin en 1908, l’artiste fut elle aussi contrainte de quitter l’Allemagne en 1933, puis la France, en 1941, à cause des persécutions antisémites. Elle s’installa à Buenos Aires puis vécut au Mexique jusqu’à son retour définitif à Paris en 1952, jusqu’à sa mort, en 2000. Membre de l’agence Magnum dès 1947, Gisèle Freund est connue du grand public pour avoir réalisé le portrait du président Mitterrand, en 1981, et des amateurs de littérature avec ceux, en couleur, des écrivains James Joyce ou Walter Benjamin, dans les années trente. Sans oublier le fameux portrait d’André Malraux, en 1935, clope au bec, mèches au vent, tellement iconique qu’il fut décliné, bien plus tard, sous forme de timbre. Pour autant, l’exposition de Montpellier – et le catalogue édité à cette occasion – s’intéressent plus au volant social de l’œuvre de Gisèle Freund, qui fut une militante politique dès sa jeunesse et pensait alors, dur comme fer, que « la photographie aussi est une arme dans la lutte des classes ». Elle a ainsi documenté les manifestations communistes en 1931, à Frankfort, les prostituées, dans la même ville, à la même époque, la misère en Angleterre en 1935 (ce qui lui valut une parution dans « Life magazine »), le triste sort des mineurs et de leurs familles en 1942, en Argentine.
L’exposition se penche aussi sur « La fabrique du reportage », depuis la prise de vue (avec un Rolleiflex ou un Leica) jusqu’à la publication dans des journaux ou des livres. Y figure notamment la belle plaquette éditée par Jean Dieuzaide lors de l’exposition de la galerie du Château d’Eau, à Toulouse, en mars 1981. En couverture figurent deux hommes, de dos, face à la mer, en Angleterre. Ce ne sont pas des vacanciers mais des mineurs au chômage cherchant sans doute dans l’horizon une source d’apaisement et d’espoir…
Exposition Nicolas Muller à l’Institut Cervantes (31, rue des Chalets), Toulouse, jusqu’au 14 février. Entrée libre.
Exposition « Gisèle Freund, une écriture du regard », au Pavillon Populaire (Esplanade Charles-de-Gaulle), Montpellier, jusqu’au 9 février. Entrée libre. Catalogue aux Editions Hazan (144 pages, 24,95 euros).