Après avoir éprouvé ses chansons le temps d’une tournée de rodage, Leïla Huissoud sera à la Cabane (Toulouse) pour présenter son disque et spectacle La Maladresse, dans le cadre du festival Détours de Chants. L’occasion de découvrir sa poésie d’époque, ses rengaines de chanson française et l’étendue de son monde intérieur.
La première fois que j’ai découvert Leïla Huissoud, c’était en 2014. Elle était là, sur le plateau de The Voice, avec sa guitare et sa voix douce un rien cassée, en train de chanter la Caravane de Raphaël. Quelques instants passent, hors du temps, puis Mika martèle son buzzer et se retourne, suivi par tous les autres juges de l’émission, subjugués par l’interprétation. À l’époque, Leïla ne se sent pas chanteuse et trimballe encore un passé de dyslexique mal à l’aise avec les mots. Ce concours, dans lequel elle atterrit par hasard et pour payer le loyer, sert de déclencheur à une carrière entamée faute de savoir quoi entreprendre d’autre.
Elle enregistre ensuite un album acoustique en live, l’Ombre (2017), remplie de petites perles de chansons françaises, louvoyant entre le joyeux et le mélancolique avec une écriture déjà fine, imagée et poétique. S’ensuit Auguste (2018), un projet de 12 titres plus grandiloquents, mais toujours aussi profonds. La guitare, le piano et l’harmonica du premier projet ont été rejoints par un quatuor à cordes avec, toujours, ce savant mélange de joie effrénée puis de moments de clown triste où l’artiste se dévoile partiellement.
L’art du gai désespoir
Non, je me trompe. La première fois que j’ai réellement découvert Leïla Huissoud, c’est en 2020, entre deux confinements. La chanteuse partage alors le plateau de l’Espace Christian Dente d’ACP avec Sèbe. Quand vient son tour, l’Iséroise se tient, la gratte à la main, dans la faible lumière d’une scène en bois au décor dépouillé. Rien n’était préparé. Elle se présente au public, emplie d’autodérision et la bouche pleine d’excuses, pour chanter des textes écrits sur la route, encore incomplets, pas encore appris par cœur et parfois sans fin ni refrain. Mais jamais sans une authenticité si désarçonnante qu’elle vise le palpitant avec plus d’acuité qu’une flèche.
Le public ne s’y trompe pas. Il rit et applaudit une artiste, toute penaude, qui ôte le masque et expose toute son imperfection, sa mélancolie et son gai désespoir de « monstre qui s’apitoie sur son sort ». Une authenticité qui vise juste, à en juger par les 10 000 vues engrangées par la captation de cette performance, sur une chaîne Youtube de moins de 1000 abonnés. Plus d’une centaine de commentaires redoublent même de dithyrambisme juste en dessous de ladite vidéo. Pourtant, ce concert est l’un des pires souvenirs de carrière de la chanteuse. De son aveu, il figure parmi ces moments qu’on veut oublier, mais qui reviennent hanter l’esprit.
« Courage et peur se partagent le même costume »
Je crois que je m’égare. En fait, ce n’était pas à ce moment-là que j’ai réellement découvert Leïla Huissoud. C’est à la sortie de La Maladresse (2024), son dernier disque en date. Un projet dans lequel elle se présente elle-même, dans tous ses paradoxes, mais aussi dans toute la justesse de sa plume, de sa voix et de ses rengaines.
Un disque aux airs de journal intime, un recueil épistolaire qui peut se lire autant qu’il s’écoute, au même titre que la correspondance d’un Camus et d’une Callas. En résulte 13 chansons, des confessions qui se dansent ou se pensent, franches, dures et introspectives. Des mots, des maux ou des réflexions que la jeune femme s’adresse autant à elle qu’à la foule et qui font que c’est le moment de découvrir l’artiste telle qu’elle est vraiment.
Rencontre avec Leïla Huissoud
Vous aviez quelque peu disparu des radars avant de revenir avec la tournée de La Maladresse, puis un album du même nom. Quelle était la Genèse du projet ?
Le spectacle est né après beaucoup de problèmes personnels, la période COVID, une dégringolade de moral… Heureusement, un musicien extrêmement talentueux du nom de Pierre Antonioni m’a aidé à reprendre mes brouillons, à composer et a même bravé sa timidité pour monter sur scène avec moi. Ce que nous avons commencé à faire avant même que le disque ne soit fini.
Je suis un peu une artiste à l’envers. Normalement, l’album est produit, les chansons sont présentées et on demande ensuite à être programmé. Nous avons fait l’inverse, en commençant par une petite tournée de rodage. Cela nous a permis d’éprouver les chansons auprès du public. Au début, la tournée s’appelait “La Maladresse” parce que le set changeait de date en date, en demandant l’avis des gens.
L’album est donc venu au fil des rencontres avec les spectateurs ?
L’idée était d’établir un lien humain et d’échange pour construire ensemble. Cela rejoignait un peu cette réflexion post-pandémie sur le spectacle vivant : à quoi sert-on ? J’essaie d’assumer ce côté faillible de l’humain, plutôt que de chercher la perfection des réseaux sociaux. Afin de remettre l’accident au centre de la création… C’est réconfortant de voir des gens normaux plutôt que des images toutes jolies et parfaites avec des personnes sûres d’elles ! Je voulais y aller simplement, être juste. Je me sentais toute merdique, je voulais l’assumer et ne pas me montrer brillante ou donneuse de leçons.
Est-ce que la tristesse vous a permis de mieux écrire ?
C’est plus simple de composer des chansons tristes. La Niaise, les gens trouvaient ça fort, c’est une chouette chanson, mais si j’avais pu éviter de vivre ce qui me l’a fait écrire… Je préfère être heureuse qu’inspirée ! Je me suis forcée à écrire des chansons joyeuses, jusque-là les airs gais étaient uniquement des reprises.
Les chansons du projet fonctionnent par diptyque. Je me suis contrainte à produire un truc absurde, joyeux ou inspirant pour chaque texte triste, comme pour créer un pendant lumineux à chaque point de vue. Par exemple, “Soleil 1,2,3…” parle du côté un peu oppressant des relations et “1,2,3 Soleil !” répond en me mettant du côté de celle qui mate des petits culs en terrasse. J’alterne les tableaux. Je passe la moitié du concert en chiffe molle et l’autre sur une scène avec des paillettes.
Le disque est intimiste, fort, poignant et, surtout, il vous présente sous un nouveau jour…
J’essaie d’atteindre une espèce de justesse et de cohérence. Sans parler de chansons, j’ai l’impression que la scène est un endroit où je me sens mieux pour m’exprimer. Personne ne me coupe la parole. Je suis victime du syndrome de l’imposteur. Pourquoi les gens m’écoutent ?
C’est dur de ne pas douter, de ne pas craindre, surtout quand t’es une nénette. Je reçois beaucoup de commentaires qui n’ont rien à voir avec la musique. On me dit que je suis “mignonne”, on me parle de ma taille, de mes cheveux, de mon âge, de mes seins… Tu finis par te demander ce que tu vaux. Seulement, j’ai décidé que je me poserai des questions quand les salles seront vides ! Heureusement, le spectacle n’était même pas défini qu’elles étaient pleines.
Quel est votre rapport à ce public, qui vous suit fidèlement malgré le peu de communication et de promotion ?
Au début, je ne comprenais pas le côté photos, autographes… Je me sentais ridicule, j’esquivais, je ne voulais pas croire que ma signature avait une quelconque importance. D’autant qu’elle est naze et je la change tous les trois jours ! C’est vite étouffant après la scène. Les gens t’attrapent, te pincent les joues, ils ont l’impression de te connaître et te disent même ce que tu devrais faire…
Surtout, ils me trouvaient lumineuse, à cause de ma musique et de ma façon d’être sur scène, alors que je suis un peu sombre au fond. Je me suis dit que c’était à moi d’être plus juste et cohérente dans mes chansons et ma façon d’être pour que les gens saisissent mieux qui je suis ! Avec La Maladresse, je retrouve le public en présentant des choses que je pense importantes. J’échange vraiment, je pose de vraies questions, je m’ouvre, je leur donne des outils pour me comprendre et qu’on ait de meilleures interactions à la fin. Maintenant, ça va mieux, et je suis très contente de retrouver les gens à la fin !
Leïla Huissoud sera à la Cabane (Toulouse), le dimanche 26 janvier 2025 à 20h.