CRITIQUE, concert, TOULOUSE. Halle-aux-grains (« Les Grands Interprètes »), le 20 décembre 2024. PROKOFIEV/SCRIABINE/ RAVEL/ MENDELSSOHN. Martha Argerich, Akane Sakai et Ido Zeev (piano), Tedi Papavrami (violon), Jing Zhao (violoncelle).
Martha Argerich a plus de 80 ans. Elle entretient la flamme de la musicalité la plus pure depuis l’âge de ses 5 ans. Toute sa vie est musique. La voir si alerte et heureuse de faire de la musique pour son public avec ses amis est une chose merveilleuse, un véritable trésor. Depuis que Martha Argerich a décidé de chasser le trac paralysant en ne jouant plus seule sur scène elle garde, telle une vestale, la flamme du piano fait musique.
Une carrière généreuse par le monde, le Festival de Lugano durant des années et depuis peu le festival de Hambourg lui permettent de partager la musique avec des pairs choisis ; De vieux amis dont Nelson Frère trop tôt disparu comme de très jeunes talents qu’elle propulse sur le devant de la scène. En fait toutes les générations de musiciens se retrouvent autour d’elle, toujours si charismatique. Répondant présente à l’invitation des Grands Interprètes Martha Argerich propose un exemple parfait de ce mélange de générations de musiciens qu’elle affectionne. Le début du programme associe Martha Argerich et Akane Sakai, chacune à un piano pour une étrange adaptation de la symphonie classique de Prokofiev. Cette partition de Riyaku Terashima a été écrite pour Martha Argerich et ses amis. L’entente entre les deux pianistes basée sur une longue collaboration est visible. Elles se sont connues à Lugano et actuellement codirigent le festival de Hambourg. Le style de chacune est complémentaire. Brillante, virtuose et audacieuse la pianiste d’origine japonaise joue souvent les notes les plus aiguës. Martha est plus souple, féline mais pas moins virtuose. Elle assure souvent une structure rythmique impeccable. Peu satisfaite du dernier mouvement Martha négocie quelques temps avec sa partenaire et les deux pianistes reprennent avec plus de fougue et de folie ce mouvement si spectaculaire.
Avec Tedi Papavrami Martha Argerich forme un duo amical de longue date. Leur interprétation de la deuxième sonate de Prokofiev ce soir semble sage et d’une grande élégance. Les sonorités sont superbes chez le violoniste, les phrasés subtils et la virtuosité est mise au service de la musicalité. La pianiste semble très à l’écoute de son partenaire elle aussi plus sage que d’habitude. Finalement il nait un équilibre entre ses deux œuvres de Prokofiev dans la première partie.
En deuxième partie le pianiste israélien Ido Zeev se lance avec panache dans la deuxième sonate de Scriabine. C’est un piano puissant, capable de nuances très subtiles et d’un rythme implacable. Pour la suite le pianiste de 25 ans nous propose une paraphrase de son cru bien davantage qu’une transcription de la pavane de Ravel écrite originalement pour violon et piano. Sachant Tedi Papavrami dans la coulisse (et Martha Argerich) certains ont pu regretter un moment la version originale. L’engagement total du jeune pianiste nous convainc de sa valeur. Le début de cette adaptation est fait avec la seule main gauche. Une puissance tellurique s’en dégage. Puis avec une virtuosité assumée et jubilatoire le pianiste déploie des moyens phénoménaux. Le final propose un rythme carrément diabolique.
Pour finir le concert en apothéose Martha et Tedi sont rejoints par la violoncelliste de grand talent, Jing Zhao. Le trio de Mendelssohn n°1 op.49 est une vaste pièce au romantisme assumé. Le dialogue entre les musiciens est d’une grande subtilité et tous les affects musicaux possibles nous sont proposés par une si belle interprétation : la flamme amoureuse, le pathos mais également l’élégie et la mélancolie. Le scherzo est un des plus magiques de Mendelssohn. Il sera d’ailleurs bissé encore plus gracieux et virtuose.
Cette apothéose de musique chambriste ravit le public. Cette véritable fête musicale se termine avec une adaptation à six mains sur un seul piano d’une étude de Rachmaninov.
Le charisme musical de Martha Argerich est intact. Ayons une petite pensée pour le grand ami de Martha, le violoncelliste Mischa Maisky qui devait l’accompagner dans une série de concerts, dont celui de Toulouse. Espérons que sa santé se remettra au plus vite.
Article écrit pour Classiquenews.com