Considéré comme le « Goncourt » du livre de photographie, le Prix Nadar a été créé en 1955. Il a notamment couronné William Klein, Henri Cartier-Bresson, Willy Ronis et Raymond Depardon. Sans oublier deux Toulousains : Jean Dieuzaide en 1961 pour « Catalogne romane », l’un des volumes de sa riche série sur les édifices religieux, et Flore en 2020 pour « L’odeur de la nuit était celle du jasmin », évocation du Vietnam tel que l’avait raconté Marguerite Duras. Décerné par l’association Les Gens d’image, le Nadar a couronné cette année « Chambre 207 », de Jean-Michel André. L’ouvrage est surprenant, dérangeant, étouffant.
Le photographe y raconte de manière éclatée le drame qui a bouleversé son enfance. Le 4 août 1983, sur la route des vacances, vers la Corse, son père décide de faire étape au Sofitel d’Avignon. La fatigue l’a gagné, il veut se reposer. Il a retenu deux chambres, une pour sa nouvelle compagne et lui, l’autre (la 207) pour la fille de celle-ci et son fils. Dans la nuit, des gangsters débarquent pour commettre un hold-up. N’y parvenant pas, ils vont finir par abattre 7 personnes, dont le père de Jean-Michel André et son amie. Pourquoi lui, pourquoi eux ? ne cessera de se demander celui qui deviendra photographe.
En 2022 et 2023, il décide de remonter le fil de cette douloureuse histoire, en se rendant sur les lieux du crime mais aussi en Corse, à Sarrebruck (où son père était consul général), au Sénégal (où Jean-Michel André a passé sa petite enfance). « La vérité se dérobe, je déplace alors mon regard et disperse l’horreur pour conjurer le traumatisme », explique le photographe. Alternant images récentes très soignées, documents et dépêches AFP de 1983, clichés d’objets marquants (la montre du père, une mèche de cheveux d’enfants…), le livre est un choc. On en ressort le souffle coupé.
Après le Vietnam, on retrouve Flore en Italie avec « Les rêveries de Lavinia », nouvel ouvrage à la beauté caressante, fruit de nombreux voyages effectués depuis dix ans dans la Botte. Parlons d’abord de l’objet, aussi sobre que magnifique. De format carré, le livre se déplie comme une frise merveilleuse, révélant recto-verso des images aux dégradés de gris comme dessinées au crayon. En italien, cela s’appelle un leporello, aussi doux au regard que soyeux au toucher grâce à du papier japonais. Un balcon arrondi ouvre sur la mer, des volets mi-clos laissent imaginer la chaleur de l’été, des statues nimbées de lumière affichent une sensualité rêveuse… « Dans tes photographies, j’ai retrouvé ce que j’avais approché et déjà perdu, écrit Marie Robert dans une Lettre à Flore jointe à l’ouvrage. Non pas l’enregistrement précis d’un moment ou d’un lieu mais la réminiscence de souvenirs qui n’en sont pas vraiment (…) Tu suggères plutôt que tu démontres, tu évoques au lieu d’imposer. Cette imprécision poétique rencontre le trouble de ma mémoire. » Voici un cadeau parfait pour tous les amoureux de l’Italie.
« Chambre 207 », de Jean-Michel André (Actes Sud, 152 pages, 39 euros).
« Les rêveries de Lavinia », de Flore (Maison CF, 30 pages, 39 euros). Disponible sur le site internet de l’éditeur.