Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Deep End de Jerzy Skolimowski
A l’instar de Milos Forman, d’Ivan Passer ou de son compatriote (et ami) Roman Polanski (dont il cosigna le scénario de Cul de sac en 1966), le Polonais Jerzy Skolimowski fait partie de cette jeune génération de cinéastes ayant émergé dans les années 1960 derrière le rideau de fer avant de passer à l’Ouest. Entravé par la censure, il s’exile donc en Europe et Deep End, coproduction germano-britannique sortie en 1971, est une œuvre à la fois emblématique de son époque (le Swinging London finissant) et visionnaire. Mike, âgé de 15 ans (formidable John Moulder Brown), décide d’acquérir son indépendance et travaille dans un établissement de bains publics d’un quartier pauvre de Londres. Dans ce cadre décrépit et crasseux, il tombe peu à peu amoureux de sa collègue Susan (Jane Asher, compagne de Paul McCartney dans les années 1960), jeune femme libérée qui l’initie au fonctionnement de l’entreprise, lieu de fantasmes pour certains clients.
Au-delà de la qualité des interprètes principaux, Deep End frappe d’abord par ses couleurs et leur contraste : tour à tour vives, éclatantes, défraîchies, grisâtres, sombres (scènes nocturnes dans Soho). D’une scène là l’autre, on passe d’une esthétique pop à des décors qui pourraient être ceux d’un pays communiste. Surtout, Skolimowski pose un regard acide sur la révolution sexuelle et la libération des mœurs.
Eaux froides
En effet, l’innocent Mike va découvrir – en guise d’apprentissage – au sein de l’établissement un professeur de natation pelotant des adolescentes, une femme mûre tentant d’abuser de lui, une secrétaire voulant le séduire. La chambre d’une prostituée, un cinéma diffusant des films pornographiques ou un club de strip-tease constituent d’autres étapes de son initiation. La liberté sexuelle a débouché en Occident sur une marchandisation des corps et du sexe, sur de nouvelles normes pouvant offrir de fausses émancipations, nous souffle insolemment Skolimowski.
Jane, qui se fait entretenir par deux amants, incarne à sa façon les impasses de cette pseudo-libération tandis que le romantisme naïf de Mike n’a plus guère de place dans ce nouveau monde où tout se monnaie, où tout a un prix. Jamais moralisateur, baignant dans un humour noir qui lorgne du côté de l’absurde, Deep End est – comme son titre l’annonce – une plongée dans des eaux froides, celles de la fin de l’innocence et de la découverte du sens tragique de la vie.
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