CRITIQUE.THEATRE. ThéâtredelaCité, le 15/11/2024. Euripide. Hécube pas Hécube. Par Tiago Rodriguez. La Comédie Française.
Magnifique résultat pour l’association Tiago Rodriguez et « Le Français »
Tiago Rodriguez s’est emparé de la Tragédie d’Euripide, Hécube pour la Comédie Française. Ce spectacle a été présenté cet été dans la carrière de Boulbon au Festival d’Avignon avec un grand succès. Une tournée se poursuit avant l’arrivée à Paris. Toulouse bénéficie de plusieurs présentations de cette pièce et fait salle comble. A proprement parler il ne s’agit pas exactement de la Tragédie d’Euripide mais d’une grande partie du texte grec entrelacée par deux textes de Tiago Rodriguez.
En effet lorsqu’il a préparé « Dans la mesure de l’impossible » une actrice vivait un drame. Son fils porteur d’un autisme grave avait subi des maltraitances dans une institution et elle avait porté plainte contre l’état. L’éthique de Tiago Rodriguez a été touchée au point de s’en souvenir en s’attaquant à Hécube d’Euripide. Le point commun entre les deux situations est cette scandaleuse faillite de la protection de l’enfance. Dans la tragédie c’est Hécube qui découvre que Polymestor qui devait assurer la protection de Polydore, fils de Priam, l’a égorgé et l’a jeté à la mer sans sépulture. Dans le texte de Tiago Rodriguez, c’est la même actrice qui joue le rôle d’Hécube et qui interprète le rôle de la mère d’Oto enfant autiste : magnifique Elsa Lepoivre ; elle découvre que son fils a été maltraité dans un lieu sensé être une protection pour les handicapés.
Les questions de la trahison, de la justice, de la vengeance, de la puissance de l’état sont donc entrelacées dans ces deux histoires, une tragédie d’un côté et un drame de l’autre. Une troisième histoire dite par l’actrice qui joue et la mère et Hécube décrit une figure de résilience singulière, celle d’une chienne qui avance toujours en recevant des coups et des blessures allant jusqu’à la mutilation d’une patte avant.
Il est vite impossible de distinguer précisément le texte d’Euripide et de Tiago Rodriguez tant la modernité de la tragédie interpelle. Le travail de Tiago Rodriguez permet donc cette parfaite fusion éthique des deux histoires dans une fluidité admirable. La scénographie permet un repérage entre les deux histoires par des jeux de lumière, des disparitions et des mises en évidence, du blanc ou du jaune. Ainsi comme rare élément de décor, sur un piédestal une statue de divinité archaïque et ambigüe avec des fumées d’encens à ses pieds est découverte mise en lumière ou reléguée dans l’ombre.
A la fin du spectacle seulement nous en comprendrons la charge symbolique. Il s’agit d’une chienne assise sans patte avant droite. Elsa Lepoivre sortira des langes dans lesquelles elle semblait bercer un bébé, la patte avant de la chienne. Polymestor, à la fin de la tragédie d’Euripide, annonce l’avenir d’ Hécube : elle se noira après avoir été transformée en « pauvre chienne aux regards flamboyants ».
Autre élément de décor, une table permet à la fois la lecture à la table de la tragédie permmettant une entrée en matière en abymes. Cette même table servira pour les interrogatoires du procureur sur la maltraitance institutionnelle ( extraordinaire Denis Podalydes).
Toute la dramaturgie fonctionne comme une mécanique huilée. C’est limpide, intelligent, fascinant. Le jeux d’acteurs est d’une grande virtuosité surtout Elsa Lepoivre dans le triple rôle (Hécube, la mère, celle qui décrit la chienne). Tous les comédiens sont magnifiques, absolument tous. Les questions si douloureuses et tout à fait contemporaines nous éclatent au visage, au cœur, à l’âme. C’est très, très puissant. S’il est évident que la vengeance n’est pas justice, la lâcheté des responsables de la protection de l’enfance, la compromission des politiques qui se voilent la face n’est pas juste non plus que ce soit Agamemnon ou l’état. L’impasse sociétale dans laquelle nous sommes, semble atteindre un seuil intolérable. Par exemple le diagnostic d’autisme actuellement galvaudé et parfois sur diagnostiqué. C’est une forme de maltraitance. Le sous-effectif dans les lieux de soins et le médico-social en est une autre. Le manque de formation, l’absence d’humanisme de certain soignants encore une autre. Et si Hécube est une reine réduite en esclavage et qui perd tous ses fils vit une tragédie, le combat contre l’absence de protection de l’état de l’enfance maltraitée et du handicap dans certaines institutions est un drame insoutenable. L’état semble n’avoir de compte à rendre à aucune justice.
Merci à Tiago Rodriguez et la Comédie-Française d’avoir déplié ces vastes questions éthiques avec tant d’efficacité.
Le public toulousain a fait une triomphe à cette pièce.
Le crédit photo est : Christophe Raynaud De Lage
Critique.Théâtre. Toulouse. ThéâtredelaCité, le 15 novembre 2014. Texte et mise en scène, Tiago Rodriguez ; Traduction Thomas Resendes ; Scénographie, Fernando Ribeiro ; Costumes, José Antonio Tenente ; Lumières, Rui Montero ; Musique Original et son, Pedro Costa ; Collaboration artistique, Sophie Bricaire ; Avec la Troupe de la Comédie Française : Éric Génovèse, Denis Podalydes, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Gaël Kamilindi, Élissa Alloula, Séphora Pondi ; Production, Comédie Française ; Coproduction, Festival d’ Avignon ; En partenariat avec le ThéâtredelaCité-CDN Toulouse Occitanie.
Hubert Stoecklin
Un lien pour en savoir d’avantage