Patrice Jean publie, aux éditions du Cherche Midi, son douzième livre, La Vie des spectres.
Le héros, qui est aussi le narrateur, Jean Dulac, est journaliste. Il a des difficultés avec son patron, Dubourg, lequel est un imbécile, un lâche et un hypocrite qui rogne dans les articles de Dulac tout ce qui pourrait offenser les bien-pensants. Dulac est aussi un écrivain raté, incapable de finir son unique roman, Les Fantoches.
Il est lucide mais faible. On aimerait bien qu’il mouche sa femme, Doriane, qui ne pense pas mais récite, et son fils Simon, de même qualité intellectuelle, mais qui est en plus un petit salopard. Toutes les bêtises, les vilenies de l’époque sont passées en revue : le wokisme, la mauvaise littérature, les profs, un proviseur affreux, aussi sot et hypocrite que Dubourg, et lui aussi un salaud ; enfin le militantisme, « la forme que prennent les esprits superficiels pour tourmenter les esprits supérieurs ».
Dans ce monde affligeant, Dulac se sent bien seul. Ce qui le mortifie particulièrement est l’oubli où on laisse la vraie littérature. Il a pourtant quelques amis qui tranchent sur les fantoches : des camarades de jeunesse (l’un, jadis d’une laideur repoussante, est devenu un homme d’affaires marié à une femme très belle ; un autre est obsédé sexuel) ; et des amis plus récents, ou en tout cas qui pourraient le devenir : Rachel, une victime de la saloperie contemporaine, également écrivain en herbe, et semble-t-il doué.
Il y a aussi Hélène Drach, une jeune prof de lettres, démise de l’Éducation Nationale parce qu’elle a refusé d’introduire dans sa classe un rappeur ; sensible, elle sait lire, elle respire haut et Dulac en est un peu amoureux.
Enfin, il a comme ami un véritable spectre, un mort, Ronan, autre ami de jeunesse, qui sort parfois des enfers pour venir faire la causette. Qu’est-ce qu’un spectre selon Patrice Jean ? Une ombre, un souvenir, un double sans doute ; mais aussi, au contraire, un vivant croyant penser mais qui récite, un automate qui laisse l’époque, et ce que notre humanité est devenue, penser en lui.
Patrice Jean vient également de publier, avec Bruno Lafourcade, Les Mauvais fils, une correspondance, aux éditions La Mouette de Minerve.
Bernard Leconte
La Vie des spectres • Le Cherche Midi