Le chef Dima Slobodeniouk avait fortement impressionné et les musiciens et le public de la Halle lors de son premier concert du jeudi 15 décembre 2022. Le revoilà pour deux dates en suivant, les 7 et 8 novembre, à 20h, pour des concerts tout Rachmaninov avec un challenge au sommet. En effet, le pianiste Mikhail Pletnev jouera les quatre Concertos pour piano et orchestre du compositeur russe, le n°1 et le n°2 le 7 puis, le lendemain, le n°3 et le n°4.
Loué pour son approche exaltante et son leadership énergique par les musiciens et le public, Dima Slobodeniouk est devenu l’un des chefs d’orchestre les plus recherchés de sa génération. Il dirigea pour la première fois à la Halle les musiciens de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse dans un programme que l’on peut qualifier de conséquent, où l’on retrouvait déjà le Concerto n° 3 de Rachmaninov, avec pour pianiste Lukas Geniusas. Ce chef finlandais d’origine russe, né à Moscou, a étudié le violon à l’École centrale de musique de Moscou puis au Conservatoire de Finlande centrale ainsi qu’à l’Académie Sibelius. Il a étudié la direction d’orchestre à l’Académie Sibelius sous la direction de Leif Segerstam, Atso Almila et bien sûr l’iconique Jorma Panula, sans cesser d’étudier avec deux autres gourous de la direction d’orchestre, Ilya Musin en Russie et Esa-Pekka Salonen en Finlande. Dans son cas, c’est le luxe ! et l’un, et l’autre. Il bénéficie ainsi d’un immense atout sachant relier ses racines natales russes à l’influence culturelle de sa future patrie, la Finlande, dont le développement culturel et plus particulièrement musical est exponentiel.
Dima Slobodeniouk travaille déjà avec les plus grands orchestres du monde. Au cours de la saison 2024/25, il fera ses débuts avec le Los Angeles Philharmonic et le Chicago Symphony Orchestra. Il ouvrira la saison avec une série de concerts au Aspen Music Festival et au Tanglewood Music Festival, avant de se lancer dans une tournée avec le New Zealand Symphony Orchestra et Augustin Hadelich. Il reviendra avec des orchestres tels que l’Orchestre Philharmonique de Radio France, l’Orchestre de Paris, l’Orchestre Philharmonique des Pays-Bas et la Dresdner Philharmonie. Il dirigera également le Boston Symphony Orchestra, le Pittsburgh Symphony Orchestra et le NHK Symphony Orchestra Japan. Dans la fosse d’opéra, il dirigera une série de représentations de Boris Godounov de Modest Moussorgski au Festival d’opéra de Savonlinna, dans son pays d’origine, la Finlande. Et, il sera donc pour deux dates à la tête des musiciens de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse.
Quant à Mikhail Pletnev, c’est un artiste accompli, pianiste, chef d’orchestre et compositeur. Il enchante et éblouit le public du monde entier depuis plusieurs décennies faisant de lui un des artistes actuels les plus respectés et influents.
C’est en 1978, alors qu’il n’a que vingt et un ans, qu’il remporte la Médaille d’Or et le Premier Prix du Concours Tchaïkovski, reconnaissance qui le propulse sur la scène internationale. En 1988, il est invité à se produire à Washington lors d’un sommet diplomatique qui le conduira à se lier d’amitié avec Mikhail Gorbachev. Il s’engage alors, tout au long de sa carrière, à faire disparaître les barrières grâce au langage universel de la musique. Dès 1990, Mikhail Pletnev fonde l’Orchestre National de Russie (RNO), premier orchestre indépendant de l’histoire de la Russie. Sa direction en tant que directeur artistique et chef principal aura amené le RNO au rang des plus grands orchestres au monde.
Plus de trente ans plus tard, il renouvelle son engagement pour la liberté artistique en créant l’Orchestre International Rachmaninov, du nom du célèbre pianiste, chef d’orchestre et compositeur.
Pianiste possédant une musicalité exceptionnelle et une technique éblouissante, Mikhail Pletnev montre à travers ses concerts, et enregistrements, la diversité et l’étendue de son répertoire, le plaçant aujourd’hui comme l’un des plus grands virtuoses de notre époque. Ses enregistrements ont reçu de nombreux prix. On relève entre autres, un Grammy Award en 2005 pour son arrangement de Cendrillon de Prokofiev.
Quelques citations en guise d’illustrations sur le compositeur :
« Je n’ai jamais pu totalement me décider ni savoir quelle était ma vraie vocation : celle de compositeur, de pianiste ou de chef d’orchestre…J’ai peur qu’en cheminant dans trop de domaines à la fois, je ne fasse pas le meilleur usage de ma vie. Comme le dit le vieux dicton russe : “J’ai couru trois lièvres à la fois, mais puis-je être sûr d’en avoir au moins attrapé un ? “ »
« Qu’est-ce que la musique ? Comment la définir ? La musique est une calme nuit au clair de lune, un bruissement de feuillage en été. La musique est un lointain carillon au crépuscule ! La musique vient droit du cœur : elle est Amour ! La sœur de la Musique est la Poésie, et sa mère est le Chagrin ! » (Lettre à Walter E. Koons, 1932)
« Dans mes compositions, je ne fais aucun effort conscient pour être original, romantique, nationaliste ou quoi que ce soit d’autre. J’écris sur le papier la musique que j’entends en moi et aussi naturellement que possible. Je suis un compositeur russe et ma terre natale a influencé mon tempérament et ma façon de voir les choses {…}. Ce que j’essaie de faire, lorsque j’écris de la musique, c’est de dire de façon simple et directe ce qu’il y a dans mon cœur. » 1941
Pas la place ici de détailler l’enfance puis l’adolescence puis les premières années d’adulte de Sergeï Vassilievitch, des pans de vie bien trop riches. Il faudrait quelques centaines de pages les résumant. Il naît le 20 mars 1873 (selon le calendrier russe !) à Oneg, gouvernement de Novgorod, sur les bords du Volkhov, rudes paysages du Nord de la Russie, des parents issus de nobles familles russes, gros propriétaires terriens, avec dans le lot, de fins musiciens et d’excellents pianistes ! Un parmi les enfants sera plus doué et donc, plus facilement repéré. C’est le cas de Sergeï qui très vite, à neuf ans, recevra tous les appuis nécessaires malgré la ruine progressive de la famille, orchestrée par le père, très sensible à la divine bouteille, sans parler des épreuves de maladies diverses qui frappent toutes les couches de la société.
Deux anecdotes, tout de même. Il n’a pas dix-neuf ans quand il participe à une sorte de concours qui lui assure la haute distinction de la Grande Médaille d’or ainsi que le diplôme de sortie, avec un an d’avance, du Conservatoire de Moscou, avec le soutien indéfectible toutefois de Piotr Tchaïkovski ! C’est à ce moment, malgré la malaria qui le handicape plusieurs mois, qu’on a pu juger qu’il bénéficiait de cet immense avantage que constitue “l’oreille absolue“ et de dons musicaux irréels quant à la mémorisation des sons. Il avait, par exemple, décidé d’apprendre par cœur tout ce qu’il entendait, quelle qu’en soit la complication ! C’est aussi à cette période qu’il compose, entre autres, le premier concerto pour piano et orchestre.
Aussi, Rachmaninov n’a pas vingt-cinq ans quand il est pianiste accompagnateur de l’illustre basse Feodor Chaliapine dans un récital à Yalta. Et que l’écrivain russe Anton Tchékov, présent, lui adresse alors ces quelques mots : « Pendant toute la durée du concert, je vous ai regardé, jeune homme. Vous avez un visage merveilleux. Je vois un destin brillant inscrit dans vos yeux. Vous serez un grand homme. » Un Chaliapine qui imposera Rachmaninov à la tête de l’Orchestre du Théâtre Bolchoï, entité parmi Les Théâtres Impériaux de Moscou. Un Chaliapine, sensiblement du même âge et qui sera l’un de ses amis intimes sur la durée, bien au-delà du départ vers les États-Unis, fin 1917.
Sur la musique du compositeur ? Pudeur et passion d’abord, traduites par une musique comme pure, dépouillée, créée à son image, sans fioritures. Elle est le reflet de son âme, qui plus est slave, avec sa charge émotionnelle, sa mélancolie prenante. Une musique qui n’a pas un siècle d’avance mais qui accroche justement le public d’alors. Une musique se distinguant par sa “virilité colérique“ dira la poétesse Marita Chaginian. Le public adhèrera immédiatement et de façon massive. Le succès est là. Un passage à vide avec la Symphonie n°1, tellement mal dirigée à la création par un Glazounov ivre mais qui sera suivie d’un succès total avec le Concerto n°2 pour piano. Entre temps, le psychiatre Docteur Nikolai Dahl, pratiquant l’hypnose, et adepte de l’autosuggestion, l’aura sorti de l’ornière, faute en partie à un début d’alcoolisme. Dahl en sera le dédicataire.
On n’oublie pas de signaler que Rachmaninov, c’est aussi le génie d’une main, une “main de pianiste“ ! dont l’écartement des doigts était tel, que très peu de pianistes peuvent exécuter parfaitement ses œuvres car écrites pour lui !
C’est aussi l’homme public si souvent à la fête, ovationné, croulant sous les offres de concerts, s’y épuisant. C’est la magie d’une aura fascinante, celle d’un magnétisme, d’une sorte d’hypnose s’exerçant sur le public. L’homme mesure un mètre quatre-vingt-dix, ce qui n’est pas fréquent en ces temps-là, sans oublier le regard pénétrant du pianiste. Une de ses petites filles parlera d’“un poète qui a su parler à l’âme“.
Le Concerto pour piano n°2 est en ut mineur, op. 18 et en trois mouvements : Moderato – Adagio sostenuto – Allegro Sherzando et dure 35 minutes. Il fut donné intégralement le 27 octobre 1901, lors d’un concert de la Société Philharmonique de Moscou, sous la direction de son cousin et bienfaiteur Alexander Siloti. Il eut un remarquable succès, et permit d’établir la renommée du compositeur. Et c’est certainement son lyrisme présent d’un bout à l’autre qui en a fait son extraordinaire popularité. L’œuvre renferme une tristesse, une nostalgie et une sincérité sans précédent, évidente. Scorie d’un romantisme finissant. Mais pas de citation, ni inspiration dans la musique populaire russe, même si l’âme de certains thèmes est bien russe. D’aucuns la proclame divinement écrite pour le piano, un piano virtuose, cela va de soi, mais sans surenchère et en ce sens, inimitable.
Ce qui ne l’empêche pas par la suite d’avoir été plagiée, manipulée. Aux États-Unis, l’engouement fut immense, et d’autant lorsqu’il y fut, avec sa famille en exil dès 1918. Diverses traces sont notables dans l’art cinématographique et la variété. Citons, comme musique de fond dans le film Grand Hôtel avec Greta Garbo en 1932 ou, librement adapté dans Full Moon and Empty Arms, chanson à succès de 1946 comme arrangement de l’ensemble de Tommy Dorsey avec Frank Sinatra. Rachmaninov s’y montre un compositeur d’une grande aristocratie, d’une grande noblesse de cœur, plutôt à contre-courant du langage à son époque alors, 1900.
Concernant le Concerto n°1 pour piano et orchestre en fa dièse mineur, op. 1, il est bien répertorié op.1 et fait partie de ce premier épisode d’un Rachmaninov tout jeune qui a soif de composer que ce soit pour piano, chant, musique de chambre, danses, motets, un opéra en un acte Aleko… Il ébauche à 16 ans quelques idées concernant ce premier concerto et à 19, il a terminé le premier mouvement et a dans la tête ! le deuxième et le troisième ! composition et orchestration sont couchées sur le papier en deux jours et demi. Il vient en même temps qu’une vingtaine de pièces mais sera décrété op.1 et dédié à son cousin Siloti. Le concerto en trois mouvements de vingt-six minutes : Vivace-Moderato-Vivace puis Andante et Allegro vivace sera exécuté pour la première fois en public à Moscou, le 17 mars 1892 avec pour soliste le compositeur de presque 19 ans. Un concerto qu’il reprendra plus tard vers 1914 puis avec une version, disons définitive, courant 1917, après le n°3 en 1909.
Orchestre national du Capitole