Le 23 septembre dernier, le premier événement musical de cette 25ème édition des Clefs de Saint-Pierre était en effet qualifié de « hors les murs ». Il était accueilli dans l’environnement magique et raffiné de la Chapelle des Carmélites et non sur les gradins familiers de l’auditorium Saint-Pierre des Cuisines. Un public nombreux et conquis a répondu très positivement à cette offre nouvelle.
Ce soir-là, quatre musiciens des pupitres de cordes de l’Orchestre national du Capitole présentent un programme d’une exigence absolue qu’ils défendent avec enthousiasme et détermination. Il s’agit des membres du Quatuor Eade, autrement dit des violonistes Vitaly Rasskazov et Alexandre Dalbigot, de l’altiste Laura Ensminger et du violoncelliste Benoît Chapeaux. Quatre musiciens identifiés et bien connus des habitués des concerts de la Halle aux Grains.
Après les interventions du Président de l’association Internotes qui gère les activités de concert, Laurent Grégoire, et de Jean-Sébastien Borsarello qui présente le programme, les quatre musiciens confrontent trois chefs-d’œuvre de grands maîtres incontestés de la musique romantique germanique : Franz Schubert, Ludwig van Beethoven et Felix Mendelssohn.
La soirée s’ouvre sur le Quatuor n°12 « Quartettsatz » en ut mineur D.703 de Schubert. L’œuvre se limite à un seul mouvement (Allegro assai) d’une dizaine de minutes. Schubert l’a écrite en 1820, au terme d’une année particulièrement sombre, chargée d’angoisse et marquée par une incapacité chronique à aller au bout des œuvres entreprises. C’est bien le drame que les musiciens traduisent ici musicalement avec une violence maîtrisée. Tout en maintenant un parfait équilibre entre les quatre voix qui s’appellent et se répondent, les interprètes ne sauraient mieux illustrer le commentaire de Jean et Brigitte Massin dans leur ouvrage Franz Schubert : « Ce tragique est présent partout : dans l’ut mineur initial ; dans le murmure angoissé des premières mesures… » L’émotion submerge ces dix minutes de musique
Le cœur du concert bat au rythme d’une autre partition emblématique, celle de La Grande Fugue en si bémol majeur op.133, de Beethoven. Composée entre 1824 et 1825 en tant que dernier mouvement du Quatuor n° 13 op. 130, elle en a été détachée pour être publiée séparément en mai 1827. Œuvre visionnaire, monumentale, elle est ici abordée sous la forme d’un déchaînement âpre et labyrinthique. De douloureux échanges alternent avec les explosions de rage que traduisent les développements de la forme fuguée, d’une complexité éblouissante portée ici à l’incandescence. La violence visionnaire reste au premier plan.
Alors que Vitaly Rasskazov tient la partie de premier violon dans ces deux œuvres, Alexandre Dalbigot joue ce rôle dans la dernière partition au programme. Il s’agit du Quatuor n°3 en ré majeur op.44 n°1 de Mendelssohn, le premier numéro du cycle des trois quatuors de l’opus 44 écrits entre 1837 et 1838. L’écriture de cette pièce de relative jeunesse s’avère tout aussi complexe que celles de Schubert et de Beethoven. Le premier volet, Molto allegro vivace, s’ouvre sur un élan vigoureux dont les interprètes soulignent l’animation juvénile. Ils abordent les deux mouvements suivants, Menuetto et Andante, à la manière d’un chant idyllique au lyrisme touchant. Le Finale : presto con brio, distille une joie où l’on retrouve un peu le Mendelssohn des symphonies.
Légitimement acclamés, les quatre musiciens reprennent, comme bis, le « Quartettsatz » de Schubert sur lequel s’ouvrait ce concert. Redisons ici la qualité et l’intensité du jeu des interprètes des trois partitions exigeantes de ce premier concert.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse
> Les Clefs de Saint-Pierre fuguent