La 16ème édition du festival international des littératures policières se tiendra du 11 au 13 octobre autour d’une cinquantaine d’auteurs.
Fidèle à sa vocation, le festival Toulouse Polars du Sud ne se contente pas de mettre à l’honneur le roman noir hexagonal, mais ouvre ses portes aux auteurs du monde entier. Au programme de l’édition 2024, dont Dominique Manotti et Olivier Truc sont la marraine et le parrain, le polar britannique sera particulièrement représenté avec cinq écrivains (Julia Chapman, Abir Mukherjee, Dominic Nolan, Alan Parks et Stuart Turton) tandis que d’autres romanciers renommés comme l’Italien Valerio Varesi ou l’Espagnol José Carlos Somoza seront également de la partie. Côté français, on remarque notamment la présence de Frédéric Paulin (dont il faut lire notamment l’excellent nouveau roman Nul ennemi comme un frère), de Cédric Sire ou de Romain Slocombe. Si le festival aura lieu du 11 au 13 octobre pour l’essentiel au forum de la librairie de la Renaissance au gré de rencontres / débats, conférences et dédicaces, de nombreuses animations débuteront dès le 4 octobre à Toulouse ainsi que dans le département et la région. Petit tour d’horizon en compagnie de Jean-Paul Vormus, président de l’association Toulouse Polars du Sud.
Il s’agit de la seizième édition de Toulouse Polars du Sud. Quel regard portez-vous sur l’œuvre accomplie ?
Concernant l’édition de l’année dernière, nous sommes très satisfaits car nous avons retrouvé les niveaux de fréquentation d’avant le Covid. Il y a eu 15 000 personnes sur les lieux proprement dits du festival et dans tous les lieux qui ont participé à l’événement. Plus globalement, depuis la création du festival qui a été fondé par Claude Mesplède, nous sommes là aussi satisfaits. La fréquentation ne cesse d’augmenter. Nous sommes un festival reconnu aussi bien régionalement que nationalement. Les maisons d’édition et les auteurs nous connaissent, apprécient de venir et reviennent lorsqu’on leur demande. Nous sommes contents de voir les résultats des efforts fournis.
Dominique Manotti et Olivier Truc seront la marraine et le parrain de cette édition. Pouvez-vous les présenter ?
Dominique Manotti est une grande dame du roman noir qui publie depuis 1981. Historienne de formation, elle a été aussi une militante syndicale et son premier livre, Sombre Sentier, évoquait une grève dans le quartier du Sentier à laquelle elle avait participé. Elle est en quelque sorte une archéologue du présent. Elle s’intéresse aux liens entre les milieux d’affaires, le crime organisé, le monde politique… C’était déjà l’arrière-plan des romans américains des années 1930 et elle s’inscrit dans cette lignée en l’actualisant. Son dernier livre, Marseille 73, se situe donc en 1973 à Marseille et se penche sur des assassinats d’ouvriers algériens commis par des anciens de l’OAS. Les livres de Dominique Manotti s’appuient quasiment toujours des faits réels et elle est une personnalité du monde du polar. Cela faisait longtemps que nous voulions l’inviter.
Quant à Olivier Truc, il est journaliste. Correspondant du Monde pour les pays scandinaves après avoir travaillé à Libération, il avait fait au début des années 2000 un reportage pour la télévision sur la police des rênes qui au nord de la Norvège règle les différents entre les éleveurs de rennes. Avec ce matériau rassemblé pour le reportage télévisé, il a fait un premier roman intitulé Le Dernier Lapon qui a eu un grand succès. Quatre autres livres ont suivi qui constituent la série La Police des rennes. L’ultime volume de la série, Le Premier Rêne, vient de sortir en septembre. On lui doit aussi Les Sentiers obscurs de Karachi et nul doute qu’il aura à l’avenir beaucoup de choses encore à raconter.
Toulouse Polars du Sud met à l’honneur cette année le polar britannique. A-t-il une identité propre, des courants particuliers ?
Il y a un courant particulier autour des auteurs écossais. Le père fondateur, si l’on peut dire, de ce courant est William McIlvanney, mais on peut citer parmi les auteurs en activité Ian Rankin ou Alan Parks qui sera présent cette année au festival. Ils ont une identité assez forte et tous traitent de près ou de loin les conséquences qu’a pu avoir le libéralisme effréné de Margaret Thatcher sur les laissés pour compte. Pour les autres auteurs, c’est plus divers et nous avons invité cinq écrivains britanniques qui reflètent cette diversité. Julia Chapman fait du « cosy crime », c’est-à-dire du Agatha Christie en plus soft, et elle a un public important. Stuart Turton s’inscrit lui aussi à sa manière dans l’héritage d’Agatha Christie. Son premier livre traduit en France, Les sept morts d’Evelyn Hardcastle, était une sorte de mélange entre Downtown Abbey, Agatha Christie et Un Jour sans fin puisque le détective devait découvrir l’assassin avant minuit sous peine de revivre la même journée. Abir Mukherjee, né en Angleterre, mais d’origine indienne, parle de l’Inde après la Première Guerre mondiale avec le colonialisme anglais et la montée des aspirations à l’indépendance. Il se rattache à la branche du polar historique dans laquelle les Anglais sont assez forts. Outre Alan Parks que j’ai déjà évoqué, il y aura également Dominic Nolan dont le premier livre traduit en français, Vine Street, est une enquête se déroulant des années 1930 aux année 2000 dans les bas-fonds de Londres à la recherche d’un tueur en série.
Un débat sur le polar hispanophone aura lieu le 12 octobre avec deux auteurs sud-américains, l’Argentin Carlos Salem et l’Uruguayenne Mercedes Rosende, ainsi qu’un auteur espagnol, José Carlos Somoza. Concernant le roman noir espagnol, cela sera l’occasion de rappeler sa richesse et sa variété. On voit aussi là-bas des auteurs très célèbres de « littérature blanche », comme Arturo Pérez-Reverte ou Javier Cercas, investir le polar ou le thriller.
Oui, et le festival a été nommé Toulouse Polars du Sud précisément parce que nous voulions mettre en lumière les auteurs hispanophones d’Amérique latine ou d’Espagne. Il y a une grosse production, avec des écrivains spécialisés dans le polar et avec d’autres de « littérature blanche » qui écrivent aussi des polars, qu’il faut mettre en valeur. Il n’y a pas que le polar nordique ou les thrillers américains. L’Espagne, comme l’Italie d’ailleurs, sont des pays où il y a énormément d’écrivains à découvrir.
Le polar et le roman noir comprennent de nombreux genres et sous-genres : le thriller, le hard-boiled, le roman d’espionnage, le roman policier… Avez-vous un genre de prédilection ?
Avec le festival, nous essayons de proposer au public l’éventail le plus large que possible et de répondre à l’éclectisme des lecteurs. Mes goûts personnels me portent plus vers des auteurs qui sont à la frontière entre la littérature noire et la « littérature blanche ». Nous avons ainsi invité dans le passé des écrivains comme Laurent Mauvignier ou Yves Ravey qui peuvent utiliser les codes du roman noir tout en mêlant les genres.
Dans le paysage éditorial français, il y a des maisons d’édition et des collections comme la Série Noire chez Gallimard ou Rivages Noir qui ont joué – et qui jouent – un rôle important. On pourrait citer aussi les éditions Métailié ou Agullo. Aujourd’hui, presque chaque maison a sa collection de polar ou de littérature noire. Voyez-vous là un opportunisme commercial ou vous félicitez-vous de ce foisonnement ? N’y a-t-il pas un risque de surproduction ?
N’étant pas éditeur et n’ayant pas d’objectifs économiques à remplir, je suis plutôt satisfait de la diversité de ce qui est proposé même si cela fait beaucoup de livres à lire pour organiser un festival… Je pense que c’est plutôt une bonne chose même s’il y a une certaine surproduction qui touche d’ailleurs la littérature dans son ensemble. Parfois, il n’y a pas un vrai travail d’éditeur. En revanche, il y a énormément de maisons d’édition qui défrichent des territoires nouveaux. Je pense à Agullo qui est une petite maison bordelaise pionnière notamment dans le domaine des auteurs d’Europe de l’Est. La Manufacture des livres a publié de nombreux livres de Frédéric Paulin qui est un excellent auteur français et qui sera présent cette année à Toulouse Polars du Sud. Les éditions Gallmeister ont fait un travail énorme sur la littérature américaine. Ces maisons ne se sont pas lancées dans le polar par opportunisme commercial, mais avec une vraie volonté de faire connaître cette littérature à une époque notamment où elle était sans doute moins en vue.
En cette rentrée littéraire, avez-vous eu un coup de cœur ?
Plusieurs même. David Joy, que est invité cette année, a signé Les Deux visages du monde chez Sonatine. C’est vraiment un grand auteur américain. Cela se déroule en Caroline du Nord avec en arrière-plan les enjeux raciaux et culturels de l’Amérique d’aujourd’hui. Frédéric Paulin, que j’ai cité, vient de publier Nul ennemi comme un frère chez Agullo, premier tome d’une trilogie qui traite de la guerre civile au Liban déclenchée en 1975 et de ses implications dans le monde politique français. C’est extrêmement prenant. Sinon, j’avais beaucoup aimé Les Ombres de Bombay de Abir Mukherjee qui est sorti début 2024 et qui retrace la montée des antagonismes entre musulmans et Hindous durant les années 1920. C’est un auteur qui se renouvèle de livre en livre dans la construction des intrigues. Benjamin Whitmer a publié avant l’été un remarquable roman, Dead Stars chez Gallmeister, sur l’emprise qu’exerce une usine de plutonium sur une petite ville des Etats-Unis. Puis, je compte lire le nouveau de Jurica Pavičić, Mater Dolorosa, un écrivain croate de grand talent publié chez Agullo.
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