Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Le Temps des Gitans d’Emir Kusturica
Emir Kusturica a connu un début de carrière bercé par de bonnes fées : lauréat à 27 ans du Lion d’Or à Venise avec son premier long-métrage Te souviens-tu de Dolly Bell ?, il reçoit en 1995 la Palme d’Or pour Papa est en voyage d’affaires puis le prix de la mise en scène, quatre ans plus tard toujours à Cannes, pour Le Temps des Gitans avant qu’une seconde Palme ne couronne Underground en 1995. Retour donc à son troisième film qui posa les fondements du cinéma et de l’univers de l’artiste.
Jeune orphelin rom vivant dans un bidonville de Skopje (alors en Yougoslavie) auprès de sa grand-mère et de sa sœur handicapée (ainsi que d’un dindon qui aura une grande importance), Perhan tombe amoureux de sa voisine Azra, mais la famille de celle-ci refuse leur mariage en raison de la pauvreté du prétendant. C’est en Italie, en compagnie d’un petit maffieux prénommé Ahmed et œuvrant dans le trafic d’enfants, que Perhan cherchera la fortune en échange d’une promesse de soins hospitalisés pour sa sœur.
Récit initiatique
Portrait d’un groupe de personnages issus de la communauté rom de Yougoslavie, Le Temps des Gitans est aussi le récit du voyage initiatique d’un anti-héros. Bien que montrant une réalité particulièrement sordide (le trafic d’enfants, la mendicité, la prostitution, le vol…) tandis que la mort, la trahison et la vengeance marquent de leurs sceaux le parcours de Perhan, le film est un hommage plein d’énergie à la culture et à la façon de vivre d’un peuple errant. Emir Kusturica déploie ici ses thèmes, ses obsessions, ses figures de prédilection : l’eau, le feu, les animaux, les rêves, la lévitation, le suicide manqué, les mariages, les fêtes et les orchestres… Entre surnaturel et approche quasi documentaire, il mêle le tragique au burlesque sans masquer ses influences : Fellini, Tarkovski, Jean Vigo, García Márquez et son « réalisme magique ».
Cet étonnant croisement de formes et d’inspirations donne naissance cependant à un art totalement personnel (à l’image de l’inoubliable scène de la fête de la Saint-Georges) servi par l’extraordinaire présence de comédiens (pour la plupart non-professionnels) parmi lesquels les étonnants Davor Djumovic et Ludmila Adzovic. Tourné en romani (la langue des Tziganes) à travers une République fédérale yougoslave (on suit Perhan en Macédoine, au Kosovo, en Serbie, en Bosnie-Herzégovine, en Croatie et en Slovénie) qui n’existe plus, le film remporta un succès commercial international inattendu et fit de la chanson traditionnelle Ederlezi (orchestrée par Goran Bregović) un tube mondial. Manière de road-movie sur la perte de l’innocence, Le Temps des Gitans est un émouvant éloge de la fuite dont les audaces demeurent intactes.
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