Marguerite Thiam a donné un grand coup dans la fourmilière pop en 2023 avec son premier EP, « Comme des grands ». L’artiste y raconte ses jeunes années, de l’enfance à l’adolescence. Des nuits longues, de l’alcool, de la drogue, des adultes qui la font grandir trop vite… Un journal intime saisissant, un uppercut en pleine mâchoire. Et on en redemande. Rencontre avec l’actrice, réalisatrice et désormais chanteuse, à l’aube d’une performance au Bikini.
Culture 31 : D’abord connue pour ton travail en tant qu’actrice et réalisatrice, tu as créé la surprise en enfilant la casquette de chanteuse, avec des textes autobiographiques. La musique, c’est un art plus intime, plus propice au « Je » ?
Marguerite Thiam : Franchement oui, la musique est plus propice au je que le jeu lui-même. Parce que là, tu racontes vraiment ta vie, tu l’interprètes de la façon que tu veux. Il n’y a personne pour te diriger, si ce n’est une industrie musicale, à qui tu dis non, clairement. La musique, ça m’a vraiment portée, ça a aussi changé ma vision du cinéma et de plein d’autres choses.
Ton premier EP, « Comme des grands » (2023) est justement comme un journal intime au fil duquel le public découvre ton passé. Ton enfance rognée, ton adolescence agitée. Replonger dans ses souvenirs et les rendre audibles, comment l’as-tu vécu ?
Je le raconte car j’y pensais déjà. La question, c’était « comment s’en débarrasser ? ». L’objectif était plus de passer à autre chose que de raviver des choses. Ça m’a permis de mettre des mots sur des trucs que j’ai vécu et de les rendre « joyeux » puisque de toute façon, c’est de la musique, je la joue en live, et en live je m’éclate. Je m’éclate aussi de savoir que des gens peuvent écouter cette musique-là. Du coup, j’ai fait d’un traumatisme quelque chose de très joyeux et ça a littéralement changé ma vie.
Dans le titre « Ceux qui s’enterrent », tu crées une dichotomie entre « ceux qui s’envolent, ceux qui pardonnent, ceux qui comprennent » et « ceux qui jugent, ceux qui slaloment, ceux qui s’enterrent ». Que représentent ces deux catégories pour toi ?
Ce que je voulais raconter, en large, c’est qu’il y a ceux qui décident de pardonner et ceux qui décident de juger. J’ai vécu beaucoup de situations pendant lesquelles on n’a pas voulu comprendre mes décisions, mes choix. On m’a jugée, on m’en a voulu pour un milliard de choses, et je pense qu’il y a aussi ceux qui décident de s’élever, de voir plus loin que leur propre prisme. On est dans un monde très égoïste, dans lequel on est très replié sur soi, et on s’approprie aussi beaucoup de choses des autres, en décidant de juger et donner son avis sur tout sans rien y connaître. J’ai pu être cette personne-là, et c’est ce que je raconte dans « Ceux qui s’enterrent ». C’est aussi une chanson que je me dis à moi-même, et ce projet m’a permis de changer ma vision des choses, mon rapport aux autres, et même parfois ma bêtise.
Dans l’EP, on retrouve aussi le titre « Plus rien n’est grave », qui parle de ton histoire d’amour avec ta compagne, la comédienne Nailia Harzoune. C’est un morceau plus doux, plus insouciant… Un message d’espoir ?
Ma rencontre avec Nailia a justement créé des choses que je raconte dans « Ceux qui s’enterrent ». Beaucoup de personnes étaient contre cet amour-là, pour X raisons. C’est aussi ce que je raconte dans « Plus rien n’est grave ». Ma rencontre avec Nailia aurait pu être quelque chose de violent car on a été confrontées à beaucoup de haine. Mais l’amour a été tellement plus fort, qu’on est rentrées dans quelque chose de beaucoup plus naïf et instinctif. C’est pour ça que la chanson est très joyeuse, c’est que de l’amour. Et c’est aussi pour ça que le titre arrive sur la fin de l’album, c’est pour faire une généralité sur le reste des textes, qui disent « quand il y a l’amour, plus rien n’est grave ». Je voulais finir sur quelque chose d’amoureux et de beau.
Cette année, on t’a également découverte sur le titre « Le sais-tu ¿ » de Gaëtan Roussel. Un morceau qu’on peut, à l’inverse, interpréter comme racontant la fin d’une relation.
C’est vrai que ça a été une question à un moment, « est ce que je chante ça ? ». Mais c’est lui qui a écrit, moi je n’ai rien fait sur l’écriture de ce projet. Il m’a juste invitée à collaborer sur son titre. D’ailleurs, je lui ai demandé s’il l’avait vécu, mais pas vraiment, je ne sais pas trop d’où vient ce texte. Mais l’idée, c’était vraiment de rentrer dans son univers. Je trouve le morceau sublime et je peux m’y retrouver à certains moments de ma vie, même si ce n’est pas du tout d’actualité.
Après avoir mobilisé l’aspect thérapeutique de la musique avec tes propres titres, qu’attends-tu d’elle ?
Maintenant que j’ai passé l’étape de la thérapie, j’ai envie de faire de la musique qui soit un peu moins pour moi. Avant, comme on n’avait pas encore le prisme des concerts, des autres, on faisait de la musique pour nous. Je pensais même pas que ça sortirait un jour. On l’a presque fait dans un esprit d’urgence personnelle. Maintenant que c’est sorti, je me rends compte de ce que c’est que les autres, le public, etc. J’ai envie de faire de la musique qui s’ouvre un peu plus, tout en racontant ma vie. J’ai aussi envie de raconter des récits d’amis, des choses que d’autres personnes ont pu vivre. Et puis surtout, la musique, je la pense beaucoup plus en live maintenant. Du coup, le rapport au studio est complètement différent. On a envie de faire quelque chose de beaucoup plus organique. Ce sera toujours une thérapie, mais évolutive.
Avec le recul, tu préfères donc la scène ?
10 fois plus. Ce qui est bien avec le studio, c’est que c’est la genèse de tout, de la création. C’est là où tu trouves les idées. Mais parfois c’est laborieux, difficile, long. On se prend beaucoup la tête sur le prochain projet là. On a envie que ce soit vraiment un objet musical et pas se faire avoir par ce que l’industrie musicale peut attendre de nous. Faire du mainstream, on n’en a pas envie. Et c’est difficile quant t’es entourée, t’as toujours des retours, des machins. Mais on veut vraiment rester fidèle à ce qu’on aime faire. Donc voilà, le studio c’est hyper pertinent, c’est le truc le plus intellectuel du processus, mais c’est pas forcément le plus marrant pour le moment. Alors qu’avec le live, il y a cette notion de lâcher-prise. C’est l’aboutissement, la célébration, après toute cette douleur.
Côté vidéo, tu as marqué les esprits avec le clip de « Quand la nuit tombe », très cinématographique, mais aussi trash. Qu’est ce qui t’a inspiré cette esthétique ?
En fait, j’ai réalisé un film qui s’appelle « Les Primates », qui parle de la fête, et « Quand la nuit tombe » parle aussi de la fête. « Les Primates » racontait le truc de manière très brute, vraiment la teuf et le trash. Et je me suis dit que je voulais pas raconter la fête une fois de plus à l’image, en plus le titre aussi le fait déjà. Au final, c’est comme si la moi d’aujourd’hui se vengeait de la moi de l’enfance, de ce que je raconte dans « Quand la nuit tombe ». C’est parti de là. Et je me suis associée avec Charles Leroy, qui est le réalisateur avec qui on a fait le clip. Je l’ai rencontré parce que j’ai fait les premières parties de Zed Yun Pavarotti. Charles était le réalisateur de ses clips, et j’ai adoré ses idées, on avait la même folie. Ça n’a pas plu aux labels, il a fallu des heures de négociations, ça a failli ne pas sortir. On s’est grave battus.
Puis voilà, mon goût pour le cinéma, ça part du trash, pas du gore non plus, mais du déstabilisant. J’aime bien déstabiliser le spectateur, le sortir un peu de sa zone de confort et aussi de ce qu’on voit en images dans la musique française. Il y a beaucoup de très bonnes choses. Mais généralement, quand t’es une meuf – parce qu’on est dans un milieu un peu misogyne – on attend de toi quelque chose de très lisse. T’es pas censée déranger. J’ai voulu un peu casser ces trucs-là. Je dis pas que j’ai changé l’industrie, mais en tout cas, on a essayé de faire quelque chose qui nous ressemble vraiment.
Tu dis vouloir te venger de la Marguerite enfant. C’est aussi ça « Comme des grands », une vengeance ?
Carrément. C’est aussi se dire que quand j’étais petite, j’étais dans mon drama. Puis quand t’es petite, t’as aussi plus la facilité d’aller vers la tristesse, etc. Et là, on a fait des chansons tristes aussi, mais il y a quand même une sonorité un peu dansante dans certains titres. C’est une façon de se dire « regarde tout ce que t’as vécu, qui a pu te traumatiser, regarde aujourd’hui, ce sont des trucs qui te font vivre des expériences de ouf ». Des moments précieux. C’est une petite revanche. Une revanche bienveillante, pas toxique.
Tu lui dirais quoi aujourd’hui à la petite Marguerite ?
Je lui dirais « t’inquiète, ça va tellement bien se passer ». Et j’aimerais surtout lui dire que même si des choses sont violentes, que tout te construit, et si t’arrives à accepter toutes ces violences, tu ne peux qu’en faire quelque chose de positif et d’excitant.
Pour en revenir aux clips, on te retrouve à l’image sur les notes du titre « Living in the Heart of Love » des Rolling Stones, en compagnie de ta copine. Quel souvenir gardes-tu de ce tournage ?
J’en garde un truc complètement lunaire, ça n’a aucun sens. C’est les Rolling Stones quoi ! Encore aujourd’hui, j’ai pas vraiment conscientisé le truc. Je suis tellement heureuse d’avoir ces images avec elle, dans un clip d’artistes aussi énormes. J’en garde un souvenir fou et je suis tellement dans la gratitude d’avoir vécu ça. C’est une vraie chance. C’est extraordinaire.
Vous êtes immortalisées pour toujours finalement.
Et pas dans n’importe quoi ! Puis mes parents ils étaient trop contents. Il y a aussi ça. Quand tu dis à tes parents que tu fais un clip pour les Rolling Stones, ça fait son effet.
Pour finir, on te retrouvera sur la scène du Bikini pendant le Weekend des Curiosités. Un mot pour les Toulousains ?
J’ai un amour fou pour Toulouse, que je connais peu, mais que j’ai vu quelques fois. On appelle ça « Paris au paradis ». C’est tous les avantages de Paris, sans les inconvénients. Avec le soleil, la bonne humeur. Je suis super excitée de venir et j’ai confiance en ce public.
Propos recueillis par Inès Desnot