Après plus de vingt ans d’absence, l’unique opéra de Claude Debussy est de retour au Théâtre du Capitole pour cinq représentations du 17 au 26 mai dans une nouvelle production signée Éric Ruf. Chargé aussi des décors, l’artiste est comédien, metteur en scène, scénographe mais aussi administrateur général de la Comédie-Française depuis 2014. Le chef Léo Hussain dirige la production.
Une absolue nouveauté disait Fernand Gregh en 1956. Il était présent ce fameux soir de la Première, le 30 avril 1902 : « Ce fut le coup de foudre. Dès les premières mesures, j’eus la révélation et si je puis dire, l’éblouissement, de cette musique absolument nouvelle. La nouveauté, la fraîcheur, le génie, c’était la musique. À la fois sensible et intelligente, aigüe et tendre, originale toujours et toujours harmonieuse, car, vous savez que Debussy disait : « La musique doit faire plaisir. » Il avait l’air de prévoir ce qui devait arriver à savoir, une musique qui ne fait pas plaisir. Je n’avais rien entendu de saillant, d’important, de Debussy avant « Pelléas ». D’ailleurs on ne le jouait pas encore dans les grands concerts. Ça a été le commencement de la gloire. »
Ce drame lyrique est en cinq actes et une quinzaine de scènes, et son livret est écrit à partir d’un texte du poète belge Maeterlinck. Mais il nous faut revenir à sa création car l’œuvre fut au-delà du déconcertant et les répétitions homériques, carrément hostiles. Des pour, des contre ! Et maintenant, un opéra donné un peu partout sur les scènes dévolues. Le jeune trentenaire donc et compositeur Claude-Achille Debussy a l’imagination fiévreuse, entouré de poètes et peintres symbolistes et impressionnistes qui l’imprègnent et le voilà estimant que le vocabulaire musical se doit d’évoluer. Ce climat grisant sature ses pensées quand, soudain, il va rencontrer son point de cristallisation.
Un hasard place entre ses mains une pièce d’un auteur belge dont l’étrangeté le fascine. Dans une prose d’un rythme très personnel, avec des mots d’une sonorité mystérieuse qui émeuvent notre subconscient plus que notre intelligence, un certain Maurice Maeterlinck y évoque les amours de deux personnages légendaires, Pelléas, petit-fils d’un vieux roi nordique, et Mélisande, princesse du vitrail, découverte dans une forêt où elle fuyait une menace dont on ne connaîtra jamais le motif. Debussy dévore cette brochure. Elle comble ses vœux. Voilà exactement la formule de poésie qu’il souhaitait découvrir. À savoir, « un poète qui, disant les choses à demi, lui permettait de greffer son propre rêve sur celui de son collaborateur…un poète qui concevait des personnages dont l’histoire et la demeure ne seraient d’aucun temps et d’aucun lieu et qui le laisseraient libre, ici ou là, d’avoir plus d’art que lui et de parachever son ouvrage ».
Pelléas et Mélisande répondait pile-poil à ses vœux. Comble du hasard, la pièce est jouée l’année suivante à Paris, le 13 mai 1893 au Théâtre de l’Œuvre. Encore un signe. Debussy “court“ à Gand, n’a aucune difficulté pour obtenir l’autorisation de mettre le poème en musique, et se met derechef au travail. Un travail qui durera dix ans puisqu’il terminera son ouvrage la veille de la création soit le 30 avril 1902 à l’Opéra-Comique. Passons sur les péripéties de celle-ci pour constater que la postérité va très vite s’incliner devant le chef-d’œuvre. Et pourtant, comme on dit, « on adore ou on déteste Pelléas ! » D’Olivier Messiaen à Pierre Boulez et des compositeurs et musiciens plus contemporains, on salue l’ouvrage comme le monument lyrique par excellence. Il est à l’égal d’un Boris ou d’un Wozzeck ou d’un Dialogue des Carmélites.
La page wagnérienne est tournée. On oublie les Ernest Reyer et son Sigurd, Ernest Chausson et son Roi Arthus, Feerval et Vincent d’Indy, Guercœur et Albéric Magnard. Même Debussy abandonne un Rodrigue et Chimène, pour cause de rage et de désespoir envers la poésie ennemie d’un Catulle Mendès. Finies les dissertations verbales, la devise adoptée étant : « Mon poète ? Celui des choses dites à demi, celui qui me laisse greffer mon rêve sur le sien ! »
Le drame de Maurice Maeterlinck qui sert de “livret » au drame lyrique de Debussy est d’une extrême banalité quotidienne. Debussy commence sa mise en musique par un duo d’amour qui s’achève en crime de jalousie. Une jeune fille, ou peut-être une très jeune femme, Mélisande, on ne le sait au juste, la jeune mezzo-soprano Victoire Bunel, épouse un homme beaucoup plus âgée qu’elle, Golaud, qui l’a recueillie dans la forêt après une rencontre toute fortuite, l’a conduite au château du royaume d’Allemonde, domaine du vieil Arkel, chanté par Franz-Josef Selig. Golaud, c’est l’éclectique baryton Tassis Christoyannis aux si nombreux rôles. Cet homme, fils du roi malade qui n’apparait pas sur scène, et qui a pour mère Geneviève, a un bien plus jeune demi-frère, Pelléas. Un amour d’une extrême violence naît entre lui et Mélisande. Follement jaloux, alors qu’il n’a aucune preuve que sa femme et son jeune demi-frère ont commis le péché d’adultère, « Je suis ici comme un aveugle qui cherche son trésor au fond de l’océan. » le vieil époux tue son rival et provoque, ne serait-ce qu’indirectement, la mort mystérieuse de sa jeune femme. Pelléas, Marc Mouillon à la tessiture si particulière de ténor-baryton et au CV impressionnant de par la diversité de ses prestations toutes passionnantes. Mélisande a eu une fille avec Golaud, Golaud dont la mère Geneviève est interprétée par la mezzo Janina Baechle. Elle a pour petit-fils Yniold, fils de Golaud, Anne-Sophie Petit. Sans oublier le médecin avec Christian Tréguier.
C’est là, tout le sujet de l’opéra. Un sujet, finalement, bien banal. Tout le théâtre d’auteurs célèbres de l’époque est fait de thèmes semblables. L’originalité de Maeterlinck, en tant que membre de ce courant symboliste, c’est d’avoir souligné l’aspect de fatalité éternelle du conflit, en le plaçant comme hors du temps, et en entourant les personnages de l’action du voile du mystère et de la poésie. D’aucuns font le parallèle entre Richard Wagner et son amante Mathilde avec Tristan et Isolde et Claude Debussy et ses amours avec sa première épouse avec Pelléas et Mélisande.
« Au dernier acte, (…) Golaud ne peut plus entendre le clair aveu de Mélisande, les mots n’ont plus le pouvoir de le convaincre. Ils parlent pour rien. (…) C’est en cela que Pelléas et Mélisande est une œuvre de silence. Quoiqu’il arrive, la parole ne le contrarie en rien et ne semble pas l’atteindre, freiner sa marche. Le drame se joue en permanence bien au-delà d’elle. Si elle avait le pouvoir d’influer sur les destinées dans la tragédie classique, elle ne l’a plus au sein de ce tragique quotidien que Maeterlinck a si bien défini lui-même. Nos destinées sont donc livrées au silence, tour à tour si apaisant et si effrayant. » Christophe Ghristi.
Vérité et légende ; réalisme et poésie ; passion humaine et fatalité : ce sont bien les deux pôles de l’ouvrage. D’où toute la difficulté d’un metteur en scène de les équilibrer subtilement. Attacher plus d’importance à l’un ou à l’autre ? Souligner de façon exagérée le caractère “irréel“ du texte ? de la musique ? Attendons le 17 mai. Les musiciens sont ceux de l’Orchestre national du Capitole et intervient le Chœur de l’Opéra national du Capitole avec son Chef de chœur Gabriel Bourgoin. Pour le côté théâtre, les costumes sont de Christian Lacroix et les lumières sont placées sous l’autorité de Bertrand Couderc. C’est une coproduction avec le Théâtre des Champs-Élysées, l’Opéra de Dijon, l’Opéra de Rouen Normandie et le Stadttheater Klagenfurt.
D’une souche de renseignement à l’autre, les intitulés des scènes sont rigoureusement les mêmes :
ACTE I scène 1 : Une forêt / sc 2 : Un appartement dans le château /sc 3 : Devant le château
ACTE II sc 1 : Une fontaine dans le parc / sc 2 : Un appartement dans le château / Sc 3 : devant une grotte
ACTE III sc 1 : Une des tours du château / Sc 2 : les souterrains du château /
Sc 3 : Une terrasse au sortir des souterrains / Sc 4 : Devant le château
ACTE IV Sc 1 Un appartement dans le château / sc 2 Une terrasse dans la brume / sc 3 : Une fontaine dans le parc / sc Pelléas-Mélisande
ACTE V et scène unique : Une chambre dans le château.