Lors du concert du 5 avril, l’Orchestre national du Capitole recevait deux artistes qui ont déjà obtenu de grands succès à Toulouse, le chef américain Robert Treviño et le pianiste britannique Benjamin Grosvenor. Le beau programme de cette soirée associait une rareté musicale et une légende symphonique universelle encadrant un concerto virtuose et puissant.
La rareté, signée du Hongrois Béla Bartók, ouvre le concert sous la forme originale d’un double ensemble de cordes disposé face à face avec l’inclusion de divers claviers et percussions. Il s’agit là de cette étrange et touchante Musique pour cordes, percussions et célesta, créée en 1937 en Suisse et qui semble annoncer les bouleversements du monde à venir. Le premier mouvement Andante tranquilo, émerge peu à peu du silence sur une structure fuguée qui distille une inquiétude douloureuse. Un crescendo implacable initié par les pupitres d’alto, débouche sur un climax impressionnant avant le retour progressif vers le silence. Suit une alternance entre mouvements vifs et mouvements lents qui évoque l’opposition entre détente et souffrance. La richesse rythmique de toute l’œuvre est parfaitement assumée par la direction précise et analytique de Robert Treviño. Chaque musicien s’implique totalement dans ce qui ressemble à la participation à un rite magique.
Le contraste n’est pas mince avec la suite du programme. Le Britannique Benjamin Grosvenor, connu dans le monde entier pour ses interprétations très personnelles du grand répertoire est le soliste du Concerto pour piano et orchestre n° 2 composé en 1861 par Franz Liszt, un autre Hongrois de naissance. L’œuvre, constituée d’un seul mouvement divisé en six parties, exige une maîtrise absolue de son interprète soliste. On ne peut que s’incliner devant celle qui émane du jeu de Benjamin Grosvenor. La remarquable perfection technique de son toucher, sa précision, la puissance diabolique de sa généreuse sonorité n’a d’égal que son implacable contrôle du déroulement musical. L’héroïsme qui se manifeste dès son entrée s’immerge à chaque instant dans le bouillonnement orchestral qui le soutient avec ardeur. L’extrême énergie de ses interventions ne masque jamais la poésie des passages intimes d’une partition particulièrement diverses.
Jamais la virtuosité, aussi évidente qu’elle paraisse, ne prend le pas sur l’intensité de l’expression musicale. Le dialogue avec l’orchestre emprunte toutes les formes, du soutient affectif au combat vigoureux. Les interventions solistes se succèdent avec bonheur : le cor, la flûte, le hautbois, la clarinette et surtout le violoncelle apportent chacun sa propre contribution au discours émotionnel de toute la partition. L’impact de cette exécution déclenche une ovation méritée d’un public visiblement ébloui par la performance. Un bis attendu vient prolonger la participation du pianiste. Avec le Nocturne n° 20 en do dièse mineur opus posthume de Chopin, Benjamin Grosvenor démontre une fois encore la profondeur de son talent de musicien, d’artiste au plein sens du terme.
La seconde partie de cette soirée renoue avec une œuvre qui fait partie du patrimoine musical universel. Qui ne connaît les quatre notes initiales de la Symphonie n° 5 en ut mineur de Ludwig van Beethoven ? Pom pom pom pom… La direction animée de Robert Treviño en offre une vision « cuivrée », favorisant les puissantes interventions des pupitres de vent, sans pour autant sacrifier les cordes, bien évidemment. Il aborde l’Allegro con brio initial avec une vigueur remarquable et dans un tempo dynamique et soutenu. Tout ce premier mouvement prend des allures de tempête. Une tempête momentanément interrompue par la belle respiration apaisée du hautbois. L’Andante con moto, ses nuances particulières et les ponctuations de ses inquiétants silences est suivi de la construction particulièrement élaborée du Scherzo Allegro. Et c’est sur le triomphe du final Allegro que se conclut cette exécution passionnée dirigée avec ferveur par le chef invité. Une exécution saluée bruyamment par un public enthousiaste au sein duquel on remarque la présence d’un nombre important d’adolescents et de jeunes enfants, probablement attirés par cette symphonie emblématique. Saluons à cette occasion le rajeunissement d’une assistance attirée par la musique.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse