Musicien curieux, passionné par le jazz et l’improvisation, infatigable compositeur, il veut tout interpréter. Dans le cadre du Cycle Grands Interprètes, il revient à la Halle ce lundi 22 avril à 20h avec un programme allant de Franz Schubert à Claude Debussy en passant par… Fazil Say !
DEBUSSY : Préludes – Livre I (1909/10) : Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir (Charles Baudelaire) | La Fille aux cheveux de lin | La Cathédrale engloutie | La danse de Puck | Minstrels
DEBUSSY : Clair de lune extrait de la Suite bergamasque
SAY : Kara Toprak (Black Earth) pour piano (1997)
SAY : Ballads – Ses – Nazım
SAY : « Yeni hayat » (Nouvelle vie) Sonate pour piano op. 99 (2021)
SCHUBERT : Sonate n°23, en si bémol majeur, D.960
Rien ne prédisposait ce jeune pianiste né en Turquie en 1970, à devenir aussi rapidement l’un des solistes les plus originaux. De parents non musiciens, il débutera ses études, piano et composition, tout simplement au Conservatoire d’État d’Ankara. À dix-sept ans, une bourse le propulse à Düsseldorf, et c’est parti. Maintenant, avec son extraordinaire talent de pianiste, Fazıl Say touche depuis plus de 35 ans public et critique d’une manière devenue rare. Avec un tel musicien, les concerts sont véritablement des moments différents, plus, directs, ouverts, passionnants. Bref, ils touchent davantage. C’est ce qu’a dû penser le compositeur Aribert Reimann lorsque, lors d’une visite à Ankara en 1986, il eut le plaisir, plus ou moins par hasard, d’entendre le jeune homme, alors âgé de 16 ans. Il en a immédiatement alerté son compagnon, le pianiste américain David Levine, le priant de venir écouter tout de suite ! sa découverte au Conservatoire de la capitale turque.
Fazıl Say reçoit ses premières leçons de piano de Mithat Fenmen, un pianiste qui a étudié avec Alfred Cortot à Paris. Sentant peut-être l’ampleur du talent du jeune homme, Fenmen demande à son élève d’improviser chaque jour sur des thèmes de la vie quotidienne avant de s’adonner aux exercices et études de piano nécessaires. C’est en s’engageant dans des processus et des formes créatives libres qu’il a jeté les bases de son énorme talent d’improvisation et de la vision esthétique qui sont au cœur de l’image que le pianiste et compositeur Fazıl Say se fait de lui-même. En tant que compositeur, il va recevoir de nombreuses commandes. Sa première, Black Hymns, écrite à 16 ans, pour violon et piano, célèbrera le 750è anniversaire de la ville de Berlin le 8 juin 1987. Son œuvre comprend pour l’instant, cinq symphonies, deux oratorios, plusieurs concertos pour soliste et de nombreuses œuvres pour piano et musique de chambre.
Fazıl Say s’est perfectionné en tant que pianiste classique à partir de 1987 avec David Levine, d’abord à la Musikhochschule « Robert Schumann » de Düsseldorf, puis à Berlin. En outre, il a suivi régulièrement des cours du maître Menahem Pressler. C’est précisément ce mélange de subtilité dans Haydn, Bach et Mozart et de virtuosité dans les œuvres de Liszt, Moussorgski ou Beethoven qui lui a permis de remporter le concours international « Young Concert Artists » à New York en 1994. Fazıl Say s’est ensuite produit avec tous les orchestres américains et européens de renom et de nombreux grands chefs d’orchestre, développant un répertoire varié allant des compositions de Jean-Sébastien Bach aux « classiques » Haydn, Mozart et Beethoven, en passant par la musique romantique et contemporaine, y compris ses propres compositions pour piano.
Depuis, Fazıl Say s’est produit dans d’innombrables pays sur les cinq continents Il est immergé dans la musique de chambre et partage cet art avec les plus grands partenaires qui soient. Plusieurs récompenses jalonnent son parcours. En 2013, c’est le prix de la musique du Rheingau et, en décembre 2016, le prix international Beethoven pour les droits de l’homme, la paix, la liberté, la lutte contre la pauvreté et l’inclusion à Bonn. À l’automne 2017, le prix de la musique de la ville de Duisbourg. Les enregistrements de Fazıl Say vont de Bach à Gershwin sans oublier ses propres compositions dont certaines figurent au programme de ce récital. Les œuvres enregistrées sont trop nombreuses pour être énumérées ici, mais on attend avec impatience ses Variations Goldberg.
Claude Debussy et l’écriture pianistique :
Le Premier Livre des Préludes date de 1910 et leur création s’étalera sur une année, tantôt par Debussy lui-même, ou par Ricardo Viñes. Le titre de Préludes se réfère immanquablement à ceux de Chopin, même si la comparaison s’arrêtera à cette seule dénomination. Avec ce Livre 1, Debussy aborde un cycle pianistique de portée considérable, continué en 1913 par un second recueil de très grande portée dans l’histoire du piano du XXè siècle.
Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir, d’après le poème lyrique éponyme de Charles Baudelaire, possède le charme mélancolique d’un après-midi d’automne où la musique, sous la forme d’une valse qui se cherche dans l’air du soir, suggère divers états d’âme. La fille aux cheveux de lin s’inspire d’une chanson écossaise de Burns, traduite par le poète Leconte de Lisle et recèle une fraîcheur ingénue que les pures harmonies consonantes et cristallines rendent encore plus virginales. La cathédrale engloutie reprend la légende celte de la ville d’Ys sous la forme d’un choral qui sonne avec une précision saisissante et épique, matérialisant, par les sons, l’apparition de la cathédrale émergeant des flots. La féerie de La danse de Puck se réfère au « Songe d’une nuit d’été » de Shakespeare : le lutin, sur un rythme saccadé, exprime le caprice de sa facétie, tandis qu’Obéron, roi des génies, laisse entendre comme une fanfare mystérieuse qui chasse Puck sur un rayon de lune. Minstrels, personnage de music-hall à la dégaine proche du café-concert, possède cet humour décapant que le compositeur a su instiller dans son œuvre et même dans ses écrits critiques au ton, plutôt deux fois qu’une, sarcastique.
Le « Clair de lune » est la troisième pièce de la Suite bergamasque, première partition importante de Claude Debussy pour le piano, composée en 1890 et publiée en 1905. Avec un archaïsme discret, elle conjugue la suite de danses, baroque à l’esprit des Fêtes galantes chantées par Verlaine. L’évident joyau de cette Suite est bien ce « Clair de lune », dont l’intitulé fait certainement référence au poème homonyme de Verlaine, dont les vers inspirent également à Debussy le titre de sa partition entière.
Quelques mots sur la dernière Sonate de Schubert mais aucun sur les pièces composées par Fazil Say, vous laissant découvrir par vous-même les surprises qui vous attendent, déroutantes ET enthousiasmantes à la fois. Chaque concert de ce pianiste est, on le sait, événementiel !
La Sonate est en quatre mouvements : Molto moderato/Andante sostenuto/ Scherzo. Allegro vivace con delicatezza/ Allegro ma non troppo.
Parmi les trois dernières Sonates si réputées, celle en si bémol majeur est certainement la plus belle, celle qui émeut le plus le public, et reste la plus réclamée. Donc, la plus émouvante et, à ce sujet, on attend avec grande impatience, comment Fazil Say va nous l’interpréter connaissant l’investissement émotionnel dont il est capable en abordant certaines pièces capitales. C’est aussi la plus résignée et la plus équilibrée, correspondant plus que les deux autres, à la conception d’un Schubert tendre et mélancolique. Alors, sous les doigts d’un tel musicien, si extraverti ?!
Peut-on dresser quelques repères ? Molto moderato : Caractère de base : calme et contenu ; doux et hymnique. Structure de grande envergure, brisée vers la fin de l’exposition et de la reprise ; faiblissant en quiétude. Une coda toute en humilité. Andante sostenuto : Mélancolie et lucidité avec au milieu un chant de louanges. Scherzo. Allegro vivace con delicatezza : voltigeant et enjoué. La section trio est à la fois feutré et rebelle. Allegro ma non troppo : Fatigue et résignation ? Non, mais plutôt grâce et détermination ; vigueur et espièglerie : clins d’œil narquois ; ligne mélodique généreuse, pugnacité. Le grand moment d’abandon de soi. Une coda de gaieté affirmée.