Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre à redécouvrir.
Le Bénarès-Kyôto d’Olivier Germain-Thomas
Parfois, les clichés sont bien utiles. Si l’expression d’« écrivain voyageur » est depuis longtemps galvaudée, elle saisit parfaitement l’art d’Olivier Germain-Thomas dont on n’oublie pas pour autant les romans. Car de La Tentation des Indes paru en 1981 à Un matin à Byblos, notre homme s’est attaché dans beaucoup de ses livres à conter les pérégrinations d’un Français de vieille culture aux confins d’horizons étrangers qu’il nous rend familiers. Avec le syncrétisme de son regard et de sa sensibilité, Olivier Germain-Thomas réussit ainsi à faire traverser les frontières au lecteur sans l’amadouer par des manières de tour opérateur. On devine que l’écrivain aime les frontières (solides réalités face au « despotisme de l’argent ») qu’il voit non comme des miradors, mais plutôt comme une invitation à sortir de soi et à découvrir l’autre.
Son récit Le Bénarès-Kyôto, prix Renaudot de l’essai 2007, nous entraîne donc d’Inde au Japon en passant par la Thaïlande, le Vietnam et la Chine. Les voies terrestres et maritimes ont la faveur du conteur, ce qui permet notamment de perpétuer une faculté d’étonnement à mille lieux du tourisme mondialisé. Débuté avec son fils, sa fille aînée et son neveu, le voyage se prolonge auprès de compagnons plus inattendus. On cède alors à la poésie des trains et d’inconnus qui, un temps, deviennent des frères.
L’histoire, les fleuves, la pensée…
À l’écart des « mots abstraits » et des « raisons étroites », ce « fils d’Occident » se méfie des névroses des siens, mais ne renie rien de ce qu’il est, se souvient de Montaigne et de Malraux, promène sa singularité dans les jardins de Kyôto ou dans les rues nocturnes de Hanoï. À un moment, l’auteur indique ce qu’il faut fréquenter et domestiquer pour déchiffrer un pays : « l’histoire, les fleuves, la pensée, les signes et les sons de la langue, les épouvantails, les aromates, les idoles, les dessous du hasard… » Jamais blasé, il distille au fil des pages les sortilèges tour à tour enchanteurs et inquiétants suggérés par des spiritualités échappant au marketing des modes religieuses ou des Buddha Bar.
On sent dans Le Bénarès-Kyôto le goût des dernières fois – « Traverser de part en part la Chine en ignorant sa langue est aussi une manière de pratiquer un art du voyage qui n’aura bientôt plus cours. » – que « la machine à malaxer » fera bientôt disparaître. Peu importe, profitons de cette façon de considérer le voyage comme l’un des beaux-arts. Ici, certains hasards et détours sont si extraordinaires et semblent tellement obéir au roman qu’ils ne peuvent être que vrais. C’est ce qui nous réconforte et nous fait croire avec Olivier Germain-Thomas que parfois « un mot, un sourire, une caresse peuvent guérir. »
Le Bénarès-Kyôto – Éditions du Rocher