Du 20 au 29 mars, le théâtre Garonne sera hanté et résonnera des sons caverneux de l’au-delà avec son festival Constellation consacré aux ténèbres et à ses hôtes.
Il est grand temps de réveiller les morts pour paraphraser Guillaume Apollinaire. Et ce sera Philippe Quesne le maître de cette cérémonie doucement macabre, lui qui sort tout juste du Jardin des délices, sa précédente pièce, inspirée du célèbre tableau de Jérôme Bosch. Il revient donc des Enfers puisque l’un des panneaux de cette œuvre y est consacré. Dans le cadre du festival Constellation, qui offre à un artiste la possibilité d’inviter d’autres artistes, Philippe Quesne doit composer avec une thématique qui ne l’effraie plus depuis longtemps : celle des spectres et de l’imaginaire qui s’en imprègne. L’occasion rêvée d’assister à son cabaret mécanique baroque intitulé Fantasmagoria.
Mais avant de faire grincer la porte du cimetière, désamorçons nos peurs avec Rituel 5 : La Mort. Le travail d’Émilie Rousset et Louise Hémon ausculte, avec humour, les rites et usages de notre société et use de matériaux filmiques pour en faire une comédie documentaire. Se côtoieront une consultante en funérailles écologiques, une architecte en cimetière vertical, une maquilleuse de cadavres ou encore un créateur d’e-mails post-mortem. Un atelier d’écriture, en lien avec ce spectacle, sera proposé afin de se confronter au langage et à ce que provoque en nous ces funèbres rituels.
Une autre artiste travaille le matériau filmique. Avec son court-métrage Je serai quand même bientôt tout à fait mort enfin, Isabelle Prim orchestre un collage avec les mots de la fin des journaux intimes d’illustres auteurs. Franz Kafka, Virginia Woolf, Mary Shelley, Fernando Pessoa, Elsa Triolet… se frôlent dans un souffle posthume transgénérationnel. Une idée proche de celle de Michikazu Matsune qui présentera, pour la première fois en France, Goodbye. En moins d’une heure, l’artiste mêle lecture et danse et interroge la précarité de notre existence et notre façon de l’appréhender à travers les mots de lettres d’adieu. Ici, l’âme de Kurt Cobain erre aux côtés de celle de Marie-Antoinette, ou d’âmes inconnues, comme cet aveugle qui se confie à son chien-guide.
Avec The Aching, le performer et chorégraphe anglo-algérien Samir Kennedy délaisse cette fois la figure du zombie — qu’il associe au queer gay —, pour une performance bercée par une folk a cappella et qui lève le voile du chagrin et du suicide. Mais The Aching se conçoit malgré tout comme une résilience qui « puise dans la sensation d’être présent au monde dans l’instant, et d’y être ensemble. » (Entretien de Samir Kennedy avec Agnès Dopff dans Mouvement, janvier 2024).
Dans cette autre chorégraphie intitulée The Second Body, c’est la fragilité de notre espèce et notre dépendance à la nature qu’aborde Ola Maciejewska. Sur scène, la danseuse compose avec un bloc de glace, symbole de vie et de fragilité, pour évoquer le temps, la disparition, l’effacement, l’urgence. Un élément métaphorique qu’Howard Barker avait enchâssé dans sa pièce Und — vue au TNT en 2007 — sous forme de lustres de glace.
Et s’il fallait trouver une nouvelle langue pour parler de la mort, les mots de Laura Vazquez, qui a reçu l’an dernier le prix Goncourt de la poésie pour l’ensemble de son œuvre, auraient une place de choix. Sa lecture intitulée Des gens ordinaires basculent dans le crime donnera l’occasion de s’y plonger.
Au-delà des histoires déjà écrites, il y a celles que notre imaginaire tisse le soir à la lueur d’une bougie ou d’une lanterne. Passionnée de vieux appareils cinématographiques, Anne Gourdet-Marès remonte aux sources de la fantasmagorie avec son Histoire(s) de lanterne magique, une séance d’animation à la boîte lumineuse, invention du XVIIe siècle, pendant une petite heure à la Cinémathèque.
Et si « la mort est une forme d’objet », comme l’écrit Laura Vazquez, ne serait-elle pas l’un de ces pianos droits dégingandés prêts à s’animer dans un halo translucide d’âmes errantes ? Fantasmagoria, cette pièce pour pianos droits et squelettes est l’œuvre d’un « maître en fantasmagories », Philippe Quesne. Son cabaret de curiosités, baigné d’ombre et de mystère, emprunte autant aux soirées spirites du XIXe qu’à l’attraction foraine.
Debout les morts ! D’un concert à l’autre, et pour réveiller les derniers fantômes récalcitrants, le festival se clôturera au son de l’électro-punk des taupes géantes Maulwürfe. Des personnages emblématiques des ténèbres, de la nuit, pour nous aider, comme le dit Philippe Quesne qui les a imaginés, à « assumer le souterrain (…) dans lequel on peut être heureux, à l’abri de la vitesse du monde. »