Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
Apocalypse Now de Francis Ford Coppola
Apocalypse Now, seconde Palme d’Or en 1979 après celle obtenue par Coppola pour Conversation secrète en 1974, c’est d’abord l’histoire d’un tournage et celui-ci aurait pu donner naissance à une série télévisée, comme cela fut le cas avec la formidable The Offer consacrée au tournage du Parrain. A défaut, un documentaire, Aux cœurs des ténèbres : L’Apocalypse d’un metteur en scène retraça l’aventure en 1991 tandis que Ben Stiller s’inspira de l’épopée d’Apocalypse Now pour son hilarante comédie Tonnerre sous les tropiques. Résumons : après des années de préparation, l’équipe du film s’installe aux Philippines. La chaos et l’apocalypse vont être en effet au rendez-vous pour un tournage s’étirant sur plus d’une année.
Typhon dévastant les décors, crise cardiaque de l’acteur principal (Martin Sheen qui avait remplacé Harvey Keitel viré au bout de trois semaines), comédiens ingérables (Marlon Brando arrivé avec quinze kilos en trop et n’ayant pas lu le scénario, Dennis Hopper ayant décidé qu’il ne se laverait pas le temps du film…), dépassement de budget (Coppola hypothéqua tous ses biens pour poursuivre son projet), consommation excessive de drogues diverses (marijuana pour le metteur en scène dépressif), contraintes extérieures (l’armée philippine du dictateur Marcos fournissait des hélicoptères, repeints aux couleurs de l’armée américaine, qui devaient rejoindre chaque jour leurs troupes sous leurs couleurs originelles), arrangements douteux (un pilleur de tombes fut chargé de fournir de véritables cadavres). On en passe. Deux années de post-production achèveront l’aventure.
Fin du Nouvel Hollywood
Le film est présenté au festival de Cannes 1979 dans une version inachevée. Il obtient cependant une Palme d’Or partagée avec Le Tambour de Volker Schlöndorff. Un succès public mondial sauve le fiasco annoncé. Cependant, que vaut vraiment Apocalypse Now ? L’intrigue, aussi simple que sinueuse, met en scène durant la guerre du Vietnam un commando US mené par le capitaine Willard, mandaté par les services secrets de l’armée américaine afin de supprimer le colonel Kurtz, officier incontrôlable établi au Cambodge et régnant sur une petite armée lui vouant un culte. Willard et son commando vont ainsi remonter un fleuve à bord d’un patrouilleur jusqu’au repaire du mutin.
Le scénario, signé par John Milius et très vaguement inspiré d’Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad, va être le prétexte à une succession de scènes hallucinées et hallucinantes. La chevauchée des Walkyries de Wagner accompagne le délire d’un officier aimant respirer « l’odeur du napalm au petit matin ». Les Stones et The Doors (The End) complètent aussi la bande musicale. Brando apparaît enfin dans le dernier quart d’heure en gourou psychopathe énonçant un discours abscons. Aux côtés de stars ou d’acteurs reconnus (Marlon Brando donc, Martin Sheen, Robert Duvall, Frederic Forrest), des seconds ou troisièmes rôles (le très jeune Laurence Fishburne, Harrison Ford, Aurore Clément…) retiennent l’attention. Que dit le film ? Pas grand-chose. Il s’agit plus d’une sorte d’opéra psychédélique sans queue ni tête que d’un véritable film sur le conflit vietnamien. Coppola, lui-même, en conviendra : « Nous étions dans la jungle, il y avait trop de gens, trop d’argent, puis peu à peu, nous avons perdu le contrôle et les pédales. » Le cinéaste ne sait comment terminer son film. Plusieurs fins sont envisagées. Par la suite, au fil des années, de multiples versions seront mises en circulation, après l’ébauche présentée à Cannes, dont une version longue en 2001 et une version « final cut » en 2019. Avec La Porte du paradis de Michael Cimino, sorti un an plus tard, Apocalypse Now sonne le glas du Nouvel Hollywood et des projets pharaoniques d’artistes démiurges. Spielberg et Lucas, leurs effets spéciaux et leurs scénarios pour adolescents, ont pris le pouvoir et ne le lâcheront plus.
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