Cheffe d’orchestre et cantatrice de grand renom, fondatrice d’un orchestre de chambre, Orfeo 55, Nathalie Stutzmann mène une carrière multiple et ouverte. Régulièrement invitée à diriger de grands orchestres internationaux comme l’Orchestre de Philadelphie ou l’Orchestre philharmonique de Rotterdam, elle est nommée, en 2021, directrice musicale de l’Orchestre symphonique d’Atlanta à compter de la saison 2022-2023. Le 2 février dernier, Nathalie Stutzmann est à la tête de l’Orchestre national du Capitole pour le grand bonheur d’un public enthousiaste.
La Halle aux Grains pleine à craquer accueille donc ce soir-là Nathalie Stutzmann dans un programme musical « classico-romantique » qui réunit de grande œuvres de Mozart, Brahms et Wagner. Deux jeunes musiciens de grands talents participent à cette soirée vivifiante qu’ils ouvrent comme solistes de la Symphonie concertante pour violon, alto et orchestre de Mozart. La violoniste allemande Veronika Eberle a déjà collaboré avec de grands chefs, comme Sir Simon Rattle, et de grands orchestres (London Symphony, Concertgebouw Orchestra…). L’altiste français Adrien La Marca, frère du violoncelliste Christian-Pierre La Marca, a poursuivi ses études au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris et remporté, en 2014, le titre de « Révélation Soliste instrumental de l’année » aux Victoires de la Musique classique.
Ces deux artistes ouvrent le concert du 2 février comme solistes de l’unique partition de Mozart consacrée à ces deux instruments. L’orchestre, dirigé avec ferveur par Nathalie Stutzmann, leur ménage une belle introduction en forme de portique et leur déroule un véritable tapis rouge. Tout au long de cette exécution magistrale, le violon et l’alto s’échangent les plus belles répliques qui soient, à la manière d’un touchant duo d’opéra. Le violon et l’alto semblent incarner ici la Susanna et le Figaro des célèbrent Noces ! On admire le jeu d’une profonde musicalité des deux protagonistes, ainsi que la beauté de leurs timbres : fraîcheur lumineuse du violon, rondeur chaleureuse de l’alto. Leurs trouvailles d’ornementation de la ligne mélodique s’épanouissent en particulier dans la belle cadence de l’Allegro spiritoso initial. L’Andantino grazioso véhicule une profonde émotion partagée entre les questions-réponses pleines de nostalgie des deux solistes et un soutien orchestral consolateur. Dans la sublime cadence de ce volet il est difficile de retenir ses larmes… Le Vivace conclusif (Tempo di Menuetto) célèbre enfin la joie retrouvée, ici encore à la manière d’un final d’opéra.
Cette belle exécution est suivie d’un bis chaleureux bruyamment sollicité par le public. Le violon de Veronika Eberle et l’alto d’Adrien La Marca se lancent dans un nouveau duo musical, en l’occurrence l’une des nombreuses Mélodies populaires collectées par Béla Bartók en Europe centrale. Une bouffée d’air frais et tonique.
La Symphonie n° 3 en fa majeur de Johannes Brahms ouvre la seconde partie de la soirée. Composée à Wiesbaden au cours de l’été 1883, cette partition coïncide avec la visite de Brahms à sa grande amie (et grand amour secret et impossible de sa vie) Clara Schumann. Pour Clara « Cette œuvre est un tout, un seul battement de cœur. Du début à la fin on est enveloppé par le charme mystérieux des bois et des forêts ». Ses quatre mouvements illustrent la diversité des pouvoirs expressifs d’une symphonie surnommé « L’Héroïque » par son chef créateur Hans Richter, lors de la première exécution le 2 décembre 1883.
Et c’est bien ainsi que la conçoit Nathalie Stutzmann. Une irrésistible énergie émane des premiers accords de l’Allegro con brio initial tout imprégné d’un héroïsme triomphant. Dans l’Andante, d’allure pastorale, la cheffe suscite des dialogues, entre ombre et lumière, tout empreints de poésie et de lyrisme, entre les vents et les cordes. Le troisième volet, Poco allegretto, tire sa célébrité de la chanson et du cinéma. Frank Sinatra, avec Take My Love, et la musique du film Aimez-vous Brahms…, d’Anatole Litvak, ont fait du thème principal, un véritable « tube ». Enoncé au violoncelle, puis circulant entre les différents pupitres, il est ici abordé avec une tendresse touchante. Avec le final, Allegro, on retrouve le côté conquérant, héroïque, du premier mouvement. Nathalie Stutzmann lui confère par moment la force d’un combat. Néanmoins, il s’achève en douceur.
Le concert se referme paradoxalement sur une ouverture, celle de l’opéra Tannhäuser de Richard Wagner. Notons que cette œuvre constitue probablement un événement important dans la carrière de la cheffe, puisqu’elle la dirigé l’ouvrage au cours du dernier festival de Bayreuth. Structurée avec soin, cette ouverture développe les grands leitmotive de l’œuvre, de la marche des pèlerins à l’évocation du Venusberg, du chaste personnage d’Elisabeth à celui, subversif, de Vénus. La direction de Nathalie Stutzmann clarifie cette structure tout en sollicitant les plus rutilantes ressources de l’orchestre. Le sens des crescendos, celui des nuances profondément musicales animent cette interprétation qui s’achève sur un flamboyant accord tutti. L’orchestre témoigne là d’une dynamique et d’un déploiement de couleurs impressionnants.
L’accueil enthousiaste du public rappelle de nombreuses fois sur le plateau Nathalie Stutzmann qui s’approche de chaque musicien, de chaque pupitre pour les féliciter. Des musiciens qui à leur tour applaudissent leur cheffe invitée. Une collaboration à suivre…
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse