La venue du baryton Matthias Goerne est toujours un événement, où que ce soit. Depuis l’arrivée de Christophe Ghristi à la direction de l’Opéra national du Capitole, l’immense chanteur est devenu, pour le plus grand bonheur et privilège du public toulousain, un habitué de cette scène. Il s’est même inscrit dans des productions scéniques, alors que le plus clair de son calendrier aujourd’hui concerne le récital.
C’est ainsi qu’il fut affiché au Capitole en janvier 2020 dans Amfortas (Parsifal, Richard Wagner), Oreste (Elektra, Richard Strauss, juin 2021) et Marke (Tristan et Isolde, Richard Wagner, février 2023). Il devait également faire sa prise de rôle de Boris dans Boris Godounov de Modeste Moussorgski cette saison. Des problèmes de santé l’ont obligé à se retirer de la production. Mais en ce vendredi 26 janvier 2024, il est sur la scène capitoline pour un récital initialement consacré à Wagner, Pfitzner et Strauss. La proximité des représentations de La Femme sans ombre de Richard Strauss dans ce même lieu faisait d’ailleurs sens à ce programme intitulé « Au Crépuscule ». Las, dès l’arrivée sur la scène du directeur de la vénérable institution, on se doutait bien qu’il y avait un problème. Tout d’abord l’annonce d’une méforme du chanteur qui malgré tout tenait à honorer son engagement. Puis un changement de dernière minute et complet du programme. Robert Schumann et Johannes Brahms s’invitaient en lieu et place des compositeurs prévus. Mais comme à toute chose…, Christophe Ghristi nous proposait alors de suivre la traduction des lieder sur l’écran des sous-titres habituellement réservé à l’opéra. Applaudissements dans la salle bien sûr. Le spectacle vivant c’est aussi cela ! Accompagné du pianiste allemand Alexander Schmalcz, Matthias Goerne transcende sa fatigue, la met au service de son art et se lance alors dans un récital non-stop de 1h15 que le public, subjugué, va religieusement écouter sans un applaudissement d’interruption.
Le cœur de ce nouveau programme est constitué par les 16 lieder du recueil de l’op 48 de Robert Schumann, intitulé Dichterliebe (Les Amours du poète) sur des textes du dernier des poètes du romantisme : Henri Heine (1797-1856). S’arcboutant sur son pupitre, dans un mouvement permanent, rodant littéralement autour du piano, ce géant du lied donne ce soir le meilleur de lui-même dans la densité d’une émotion qu’il est difficile d’endiguer, d’autant que les traductions qui défilent devant nos yeux sont explicites quant au cheminement sentimental et douloureux d’un jeune homme amoureux, de la gaîté printanière à une mélancolie qui ouvre la porte aux désillusions et à la mort. Le cycle des Lieder und Gesänge op 32 de Johannes Brahms clôture cette soirée. Matthias Goerne confirme ici son extrême proximité, voire intimité avec cet univers dans lequel l’inflexion de la voix et de la ligne de chant tiennent lieu de passerelle pour l’auditeur vers ce monde crépusculaire cher au romantisme allemand. Matthias Goerne possède ce vocabulaire à la perfection depuis longtemps. Sa méforme passagère n’enlève rien à l’intensité douloureuse de son interprétation, celle d’un maître qui a pour habitude d’en côtoyer les sommets.
Robert Pénavayre
une chronique de ClassicToulouse