Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre à redécouvrir.
Une double vie, c’est deux fois mieux de Jonathan Ames
Jonathan Ames (que l’on retrouvera en janvier dans les librairies avec le roman noir Il s’appelait Doll) est sans doute plus connu dans le monde pour avoir été le créateur de l’excellente série télévisée Bored to Death, petite merveille de loufoquerie teintée de discrètes touches de mélancolie produite par la chaîne HBO (trois saisons), que pour son œuvre de journaliste et d’écrivain (également comédien, il se produisit dans des spectacles de stand-up). Aussi, la couverture de son recueil de textes édité en France en 2012, Une double vie, c’est deux fois mieux, reproduit celle du DVD de la deuxième saison de la série. Les cinéphiles reconnaîtront donc les acteurs Zach Galifianakis, Jason Schwartzmann et Ted Danson. Le mince fil rouge entre la série et l’ouvrage est la présence dans ce dernier d’une brève nouvelle ayant servi, très librement, de point de départ à l’écriture de Bored to Death. Un ennui mortel met en effet en scène, comme dans la série, un écrivain s’improvisant détective privé, mais dans une ambiance résolument tragique et « roman noir » qui ne sera pas exploitée par Jonathan Ames pour la télévision.
Mêlant nouvelles, récits autobiographiques, articles ou reportages, Une double vie, c’est deux fois mieux fait passer le lecteur des obsessions de Jonathan Ames (essentiellement le sexe et l’alcool, c’est-à-dire la solitude) à des choses vues par le regard d’un entomologiste narquois qui sait éviter la condescendance. Qu’il s’agisse d’une visite à un festival de rock gothique ou à la réunion annuelle du Club des amateurs de velours côtelé, comme de la fréquentation de «beautiful people» (notamment les chanteurs Marilyn Manson et Lenny Kravitz), l’auteur observe ces comédies humaines avec autant de finesse que de malice. Dans ce qui est peut-être le meilleur texte de l’ouvrage, Ames fait un séjour dans un ancien quartier populaire de New York devenu un temple de la « branchitude ». Les enseignes de luxe pullulent, le commerce des signes et des apparences est roi. Dans les bars, il faut faire du bruit pour montrer que l’on s’amuse. Propageant « la commercialisation massive de pratiquement tout », les bigots de la modernité se prosternent devant leur idole : « C’est l’argent qui est dieu, ici, pas Dieu. »
Doux-amer
S’il reconstitue « les conditions idéalement propices à cette catastrophe que constitue l’embourgeoisement d’un quartier », Jonathan Ames n’oublie pas qu’un écrivain doit s’attacher aux petits faits vrais : « Autour du bassin, il y a un bar, une douzaine de tables où l’on peut déjeuner, et environ soixante chaises longues ; il y a beaucoup de jolies femmes, et, en tout, probablement cent vingt personnes rassemblées ici. Sur ce total, environ quarante tripotent leur téléphone, deux lisent un livre, trois ont un ordinateur portable, et sept ont des faux seins. » On rit souvent à la lecture de ces chroniques douces-amères. Parfois, le désenchantement s’invite sur la pointe des pieds. La vie amoureuse de ce petit cousin de Woody Allen charrie son lot de catastrophes et de regrets. Il nous les offre avec élégance, sans apitoiement. On dit merci.
Une double vie, c’est deux fois mieux – Losfeld