Pour sa 8ème édition, le festival Musique au Palais a permis aux mélomanes de la région toulousaine d’assister à un nouveau week-end musical original et particulièrement riche au cœur de la Ville rose. Ce lieu magique ouvrait une fois encore ses portes à la musique de chambre. Les samedi 25 et dimanche 26 novembre, un public nombreux et heureux a ainsi pu assister à pas moins de six concerts dans le grand salon du Palais Niel, QG de l’armée de Terre et siège de la 11ème brigade parachutiste, au cœur de la ville.
L’action musicale de ce festival consiste à réunir des artistes professionnels confirmés, des grands amateurs et de jeunes talents à découvrir qui se produisent dans le cadre magnifique et à l’acoustique exceptionnelle de ce grand salon à la fois mythique et convivial.
En outre, comme l’indique le Général Danigo qui ouvre le festival aux côtés de Serge Krichewsky, le Directeur artistique de la manifestation, une partie des recettes de ces concerts est versée au bénéfice d’associations caritatives : Terre Fraternité et Entraide Parachutistes qui contribuent à l’accompagnement des blessés, de leurs proches ainsi que des familles des morts en service de l’armée de terre et des parachutistes.
Le thème de cette édition 2023, « A la Belle Epoque », est- l’occasion de mettre en évidence un répertoire d’une belle diversité. Ainsi que le proclame Serge Krichewsky, ce thème réunit, dans un premier temps, des compositeurs français de la fin du XIXème et du début du XXème siècles, puis y intègre les étrangers séduits par l’esprit de nouveauté qui émane de la création à cette époque.
Les concerts du samedi 26 novembre
A 14 h 30, le premier des trois programmes de l’après-midi développe le thème original « Points de repères » avec des œuvres de Gabriel Fauré, Claude Debussy et Camille Saint-Saëns. A tout seigneur tout honneur, si l’on peut dire, le concert s’ouvre sur le sublime et unique Quatuor à cordes de Debussy. Chiu Jan Ying et Julie-Guédon-Joly, violons, Samuel Joly, alto, et Benoît Chapeaux, violoncelle, qui composent le Quatuor Notturno, s’y investissent avec passion. Ces musiciens de l’Orchestre national du Capitole en exaltent la vigueur, tout en soulignant les nuances et le chant qui imprègnent cette partition géniale.
Une série de duos et de pièces pour piano complètent ce panorama. La fameuse Elégie pour violoncelle, de Gabriel Fauré réunit Benoît Chapeaux et le tout jeune pianiste Léo-Maxime Fabris qui accompagne également Leslie Richmond dans la Pavane pour flûte et piano du même compositeur. Un moment de rêve qui se prolonge avec l’Arabesque n° 1 et L’Isle joyeuse, de Claude Debussy, joué avec vigueur par Ariel Sirat, pianiste grand amateur, cofondateur du festival, que l’on retrouve avec plaisir. Cette première session s’achève sur Le Cygne, pièce emblématique extraite du Carnaval des Animaux, de Camille Saint-Saëns, jouée par Benoît Chapeaux et Leo-Maxime Fabris.
A 16 h 30, sous le titre « Des maîtres petits et grands », de courtes pièces donnent le beau rôle au piano. Le jeune pianiste Louis Ge place son jeu délié au service de la Suite bergamasque de Claude Debussy, alors que François Schwarzentruber, bien connu pour ses participations précédentes à Musique au Palais, accompagne la jeune et talentueuse flûtiste Célia Mora dans la Sérénade de Gabriel Pierné et la Légende pastorale du trop rare Benjamin Godard. Après un retour d’Ariel Sirat dans le délire de Fête-Dieu à Séville d’Isaac Albéniz et la paisible Pavane pour une infante défunte, de Maurice Ravel, François Schwarzentruber conclut ce concert avec une brillantissime exécution de Jeux d’eau de Maurice Ravel et du Nocturne n° 4 de Gabriel Fauré.
A 18 h 30, le troisième volet de cette première journée réunit des artistes de premier plan bien connus à Toulouse. Le titre « François Dumont, concert entre amis » en définit l’esprit. Le brillant pianiste François Dumont et le grand violoniste super-soliste de l’Orchestre national du Capitole, Kristi Gjezi confèrent d’abord à l’unique Sonate pour violon et piano de Debussy la finesse et la musicalité de leurs jeux respectifs. Limpidité, sensibilité, équilibre des échanges confèrent à chaque mouvement son caractère propre.
La seconde partie de ce concert révèle enfin un chef-d’œuvre de la musique de chambre de cette époque, trop rarement offert au grand public, le Concert op. 21 d’Ernest Chausson, ce grand compositeur, amis de Debussy, dont la fin accidentelle (une chute de bicyclette !) explique la brièveté de l’existence. Composée de manière particulièrement originale pour violon, piano et quatuor à cordes, cette partition est défendue avec ardeur et passion par François Dumont et Kristi Gjezi, rejoints par les membres du Quatuor Notturno. L’ensemble des interprètes donne à cette formation particulière une ardeur véritablement symphonique. Le lyrisme exacerbé du premier mouvement, Décidé, est suivi du rêve de la Sicilienne, de l’intensité de la plainte du Grave pour se fondre dans l’exaltation de l’élan libérateur du Final, très animé.
L’un des grands moments de cette édition 2023 !
Les concerts du dimanche 26 novembre
Trois concerts supplémentaires témoignent du haut niveau musical atteint par cette manifestation.
A 15 h, un jeune duo déjà célèbre réunit le clarinettiste Lilian Lefebvre et le pianiste Vincent Martinet dans un programme intitulé « Clarinette fin de siècle » destiné à mettre en évidence toutes les qualités d’une évidente complicité. Dès la Sonate de Camille Saint-Saëns, la clarinette chante comme une voix humaine et éblouit par une virtuosité jamais gratuite, toujours très musicale. Le piano ne se contente pas d’accompagner. Il dialogue, échange, compatit.
L’incroyable dynamique de l’Introduction et Rondo de Charles-Marie Widor cède la place à la subtile poésie de la Rhapsodie pour clarinette de Debussy. Dans la Sonate n° 2 de Johannes Brahms, les interprètes adaptent subtilement leur jeu à un tout autre style parfaitement assimilé. L’enthousiasme du public obtient un bis contrasté : le dernier mouvement de la Sonate de Francis Poulenc joué ici avec une fougue et un humour réjouissants.
Le concert de 16 h 30 est dédié exclusivement au piano, témoin de l’évolution de l’écriture musicale. Sous le titre « Avant-gardes, modernité », commenté avec talent par Serge Krichewsky, un portrait de cette modernité assumée et diverse transparaît dans la succession de pièces courtes mais intenses de compositeurs de toutes nationalités. D’Alexandre Scriabine à Erik Satie, en passant par Sergueï Prokofiev, Ottorino Respighi, Leoš Janáček, Arnold Schönberg, Joseph Marx, Claude Debussy, Scott Joplin, cette succession atteste de la diversité des nouveaux styles. Trois pianistes se partagent cet impressionnant catalogue. Le jeune Louis Ge ouvre le bal avec l’Etude op. 42 n° 5 de Scriabine. François Schwarzentruber prend le relai et impressionne notamment dans l’éblouissante Toccata op. 11 de Prokofiev ainsi que dans le drame sous-jacent de Dans les brumes de Leoš Janáček.
Ariel Sirat se lance ensuite dans une vision judicieusement analytique des révolutionnaires Sechs Klavierstücke op. 19 de Schönberg, puis investit le post-romantisme de peu connu Joseph Marx, ainsi que l’impressionnisme de Brouillards, du livre II des Préludes de Claude Debussy. C’est à François Schwarzentruber de conclure avec un ragtime de Scott Joplin et la réponse guillerette d’Erik Satie dans Le Piccadilly.
L’ultime rencontre de 18 h 30, intitulée « Du salon au boulevard », renoue avec la mélodie française grâce au talent déjà bien reconnu du grand baryton Philippe Estèphe, et à celui d’Eloise Urbain qui excelle dans l’accompagnement et pas seulement. Commenté avec finesse par Philippe Estèphe lui-même, le programme balaie un répertoire riche et varié illustré par Charles Gounod, Claude Debussy, Gabriel Fauré, Georges Bizet, Emmanuel Chabrier, Maurice Ravel, Camille Saint-Saëns et André Messager. La richesse du timbre parfaitement projeté de Philippe Estèphe, l’excellence de sa diction, son sens de la prosodie font ici merveille.
Deux pièces pour piano seul donnent à Eloise Urbain l’occasion de démontrer ses talents de musicienne comme dans Pagodes, pièce extraite des Estampes de Claude Debussy. Mais on admire la trouvaille des deux complices qui donnent enfin à découvrir les indications farfelues dont Erick Satie parsème ses partitions et notamment la Gnossienne n° 3 jouée avec finesse par la pianiste, alors que le chanteur dévoile les « commentaires » du compositeurs, écrits sur la partition elle-même, du genre « Conseillez-vous soigneusement » ou « De manière à obtenir un creux » …
Le grand succès public de ce beau récital obtient des artistes un bis particulièrement significatif : l’une des mélodies extraite du cycle Don Quichotte à Dulcinée de Maurice Ravel.
Saluons donc la réussite de cette édition 2023 des Musiques au Palais, suivie par un public nombreux et assidu. Attendons avec espoir la prochaine édition.
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse