En coproduction avec le Théâtre des Champs Elysées, l’Opéra national du Capitole va inaugurer une nouvelle production du Boris Godounov de Modeste Moussorgski en cette fin novembre 2023. Outre un magnifique plateau vocal, tous les yeux sont braqués sur le metteur en scène de ce spectacle : Olivier Py, metteur en scène qui ne passe pas pour simplement survoler les œuvres qu’il aborde. Bien au contraire. Les malheureux évènements géopolitiques actuels viennent en plus de lui offrir un terrain de manœuvre dont le public est terriblement impatient de voir l’aboutissement. Rencontre
Classictoulouse : Comment avez-vous rencontré Boris Godounov pour la première fois : Pouchkine, Moussorgski, l’histoire russe ?
Olivier Py : En fait c’est par Moussorgski. Le premier opéra que j’ai vu de ce compositeur est sa Khovanchtchina, il y a une trentaine d’années. Il m’avait beaucoup impressionné et j’ai voulu en savoir un peu plus. Ce sera Boris Godounov. Je n’avais pas lu la pièce de Pouchkine avant de me mettre à travailler sur cette œuvre aujourd’hui.
Quelle a été votre réaction lorsque la mise en scène de cet opéra vous a été proposée ?
C’est Christoph Ghristi qui m’a proposé ce Boris. J’ai donc commencé à creuser le sujet car il y a beaucoup de versions de cet ouvrage, du compositeur lui-même mais également d’autres compositeurs qui l’ont réorchestré. C’est un vrai mille feuilles ! Des personnes bien plus savantes que moi dans ce domaine m’ont convaincu que c’est la version originale qui est la plus belle. Aujourd’hui je sais qu’elles ont raison. Pour répondre directement à votre question, j’ai dit oui de suite. J’ai beaucoup hésité à aborder le répertoire russe car je ne parle pas cette langue. Et puis, il y a quatre ans, j’ai mis en scène La Dame de pique de Tchaïkovski. C’était la première fois que je travaillais sur une langue que je ne parle pas. Finalement tout s’est bien passé.
Quel a été votre processus créatif et d’ailleurs depuis quand travaillez-vous à cette production ?
De manière générale je travaille avec mon plus proche collaborateur, Pierre-André Weitz, deux à trois ans avant le début des répétitions. Un an avant nous fournissons un projet très construit car, en ce qui me concerne, je n’aime pas beaucoup improviser. Quand j’arrive sur scène, en répétition, j’ai le story board complet dans ma tête, ce qui me sécurise mais sécurise aussi les chanteurs. A la note près, je sais ce qui va se passer. Le reste c’est de l’art, et cela ne se prémédite pas.
En dehors des personnages et des diverses actions et interactions, en creux, finalement, que raconte l’opéra de Moussorgski et que voulez-vous nous raconter ?
Le rapport de la Russie avec le pouvoir. Je ne vais pas raconter autre chose que ce que révèle l’œuvre. Je connais un peu ce pays avec lequel j’ai un rapport très personnel qui m’a aidé à le comprendre. Depuis que Pouchkine a écrit cette pièce, en 1825, elle a été réécrite à plusieurs reprises pour finalement être en permanence le miroir du pouvoir en place. Dans les périodes révolutionnaires on y voit le ferment de la révolution et dans les moments totalitaires on y voit par contre une critique de l’autocratie. Dans mon idée, Pouchkine et Moussorgski expriment le rapport particulier du peuple russe avec les tsars ou le pouvoir en place. Il suffit également de lire Dostoïevski pour comprendre que le ferment révolutionnaire est toujours là en même temps que la fascination pour le tsar. Cette dialectique est quasiment incompréhensible pour les Occidentaux.
Pour ne citer que Dialogues des Carmélites et La Gioconda, deux productions programmées au Capitole il y a peu de temps, nous savons que vous êtes en capacité de nous émouvoir aux larmes comme de nous proposer des tableaux d’une incroyable violence. Qu’en est-il de ce Boris Godounov ?
Contrairement à ce que l’on peut croire c’est une pièce dans laquelle il y a beaucoup d’humour. C’est surtout une véritable méditation sur la violence du pouvoir et, ici, sur son illégitimité. L’opéra de Moussorgski ne parle pas d’amour, d’ailleurs dans la version originale il n’y a pas de premier rôle féminin. La seule relation, si l’on peut dire, « sentimentale » évoquée dans cet opéra est la relation littéralement sadomasochiste entre le peuple russe et ses « empereurs ». Dans cette production se mélangent toutes les époques de l’histoire russe, celle des tsars, celle des soviétiques et celle de Poutine aujourd’hui. C’est toujours la même cruauté qui se répète. Comment ce grand peuple n’est-il jamais arrivé à établir une démocratie ? C’est un mystère.
Quelle est pour vous l’importance des décors et des costumes dans votre travail ? Des accessoires simplement ou bien nourrissent-ils votre proposition ?
C’est une réflexion en commun que nous réalisons Pierre-André Weitz (ndlr : décors et costumes) et moi depuis 35 ans que nous travaillons ensemble. Chacun se nourrit mutuellement de l’autre. Il n’y a pas de rôle bien déterminé.
Les derniers événements géopolitiques qui meurtrissent notre planète ont-ils influé sur votre mise en scène ?
L’invasion de l’Ukraine est survenue alors que nous étions en pleine réflexion sur ce Boris. Il est évident que cet acte a influé sur notre travail. Nous ne pouvions pas fermer les yeux là-dessus. Je pense qu’aujourd’hui je ne ferais pas La Dame de pique de la même manière qu’il y a quatre ans. Boris c’est Poutine et Poutine c’est Boris. C’est tellement flagrant qu’il était impossible de monter cet opéra en l’ignorant.
Que l’on adhère spontanément ou plus difficilement à votre travail, une chose est sûre, votre passion et votre respect pour l’art lyrique.
J’essaie systématiquement de servir l’œuvre que je mets en scène, de la faire comprendre malgré ce que le vernis du temps a pu déverser sur elle de triste et de monotone. Mon souhait est de produire le choc initial de la création, ce qui oblige à certaines propositions. Mon respect, comme vous dites, de l’art lyrique passe aussi par mon admiration pour le chef d’orchestre et les chanteurs car ils font un travail très difficile.
Depuis la fin des années 80 vous mettez en scène des pièces de théâtre dramatique. Quelles sont les contraintes qu’une partition impose à votre travail sur un opéra ?
Ce ne sont pas des contraintes, je dirais plutôt que je mets en scène une partition musicale, c’est comme un deuxième texte qu’il convient d’étudier et que l’on peut marquer soit dans son rythme, soit, pour une variation de tonalité, la souligner par un changement de décor, de lumière. C’est une approche passionnante.
Vous avez mis en scène à ce jour 49 d’opéras, très différents, de Curlew River à Lohengrin en passant par Manon, Roméo et Juliette ainsi que des œuvres contemporaines. Les propositions ne vous manquent pas, peut-on imaginer, et donc quels sont les critères déterminants dans vos choix ?
C’est tout d’abord avoir le temps. Si cela peut s’inscrire dans mon calendrier, je le fais. Je n’ai presque jamais refusé une proposition.
Quelle est l’œuvre lyrique que l’on ne vous a pas encore proposée de mettre en scène et que vous souhaitez ajouter à votre répertoire ?
Le Ring de Richard Wagner. On me l’a proposé deux fois et ces deux fois ont été annulées ! Je reste en manque de cette Tétralogie. J’ai déjà fait quatre Wagner (ndlr : Tristan et Isolde, Tannhäuser, Le Vaisseau fantôme et Lohengrin). Wagner est certainement le compositeur que je connais le mieux. Il y a avec ce musicien une excitation intellectuelle, politique et philosophique considérable. Wagner m’aspire totalement et me met toujours en danger. Et j’adore ça, cette impression de disparaître. J’ai un lien très particulier avec ce compositeur. Je crois que c’est de l’amour.
Propos recueillis par Robert Pénavayre
Une chronique de ClassicToulouse