Après avoir fait un tour d’horizon des débuts de saison de différentes salles de spectacle, Culture 31 s’est penché sur le début de route d’une compagnie sur la période 2023-2024, avec Le Grenier de Toulouse. Pour l’occasion, nous avons échangé avec Stéphane Battle, codirecteur artistique de la compagnie et metteur et scène.
Culture 31 : Avant d’évoquer les projets de la saison 2023-2024, un mot sur la saison passée ?
Stéphane Battle : Elle nous a offert de belles réjouissances et retrouvailles avec le public, qui a été un peu dispersé par les périodes difficiles que nous avons tous connu. Une année de retrouvailles, avec de très belles créations. Notamment Ubu Roi en décembre dernier, qui a vraiment été très impressionnante et qui nous a enfin permis de retrouver un collectif au travail. Je crois que les spectateurs ont aimé !
Du 11 au 15 octobre, vous présenterez « François, le Saint-Jongleur » (création 2023) à L’Escale. Une comédie inspirée de l’histoire de François d’Assise. Pierre Matras se prêtera pour l’occasion à l’exercice du seul-en-scène. Il incarnera alors plusieurs personnages, mais s’adressera au public. Comment met-on en scène une pièce où le personnage est seul sans vraiment l’être ?
Un peu comme dans la vie finalement ! (Rires). Dario Fo a écrit un texte éblouissant de lumière, d’humanité, d’amour et d’espoir. Il prend pour prétexte une biographie un peu humoristique du fameux François d’Assise et nous révèle les péripéties loufoques de sa vie, qui avait effectivement l’air haute en couleur. Dario Fo, ce génie italien qui a été Prix Nobel de littérature, sous couvert d’une certaine clownerie – dans le sens noble du terme – nous offre une très belle leçon de vie et de paix. Dario Fo était anticapitaliste et très engagé.
Il se sert donc de ce personnage truculent de Saint François d’Assise, qui était vraiment un bateleur, puisqu’il haranguait les foules pour raconter l’évangile. C’était même un comédien qui travaillait sur des tréteaux, comme Molière. Cet homme a été porté par la grâce, à chercher un sens à sa vie, et l’a trouvé en construisant des églises pour essayer de reconstruire l’Église. Mais peu importe, car le spectacle ne cherche pas à faire du prosélytisme, mais nous donne une certaine lumière sur l’humanité. Une mise en lumière sur des choses très tristes et à la fois très belles. Donc c’est un solo assez exceptionnel que va interpréter Pierre Matras.
La compagnie proposera également sa version de « Cuisine et dépendances » (création 2023) d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, à L’Escale, du 14 au 31 décembre. Un combat d’égos sur fond de repas entre amis.
Cette année, on voulait rendre hommage à un auteur et un acteur qu’on admirait et qu’on admire toujours : Monsieur Bacri, pour qui j’ai une admiration totale. On avait d’ailleurs monté « Un air de famille » il y a déjà quelques années, et cette fois, on présente aussi «Cuisines et dépendances». Ce sont quand même leurs deux plus gros succès au théâtre. C’est une manière de dire merci à cet homme qui s’en est allé et qui a beaucoup servi le théâtre et le cinéma. Un grand homme. On parlait de Dario Fo, mais Monsieur Bacri avait lui aussi un coup de gueule très juste sur l’humanité.
Toujours à L’Escale, il y aura « Tartuffe » (création 2023), du 16 février au 3 mars. Vous qui en avez fait la mise en scène, pensez-vous qu’il soit possible de se lasser de Molière ?
Oui, surtout si c’est mal fait ! (Rires). Si c’est mal joué et mal mis en scène, je crois que c’est extrêmement ennuyeux. J’ai des souvenirs horribles du collège et du lycée quand on me traînait par grappe voir du théâtre. Je trouvais ça abominable et c’était certainement le cas. C’est très difficile de donner toute la jubilation et l’intelligence de Molière sans tomber dans la caricature du théâtre franchouillard, où on fait des gros yeux et on vit les scènes de façon excessive et grotesque.
Toute la difficulté est donc de laisser vivre Molière avec toute sa virtuosité, sa légèreté, son intelligence vive. Et il faut des grands acteurs comme Laurent Collombert pour se prêter à ce rôle de Tartuffe. J’espère qu’on en donnera une lecture subtile et polysémique, qu’il n’y ait rien de définitif dans le jugement du spectateur.
Enfin, « Irrésistible » (création 2022), repartira pour un tour cette saison. La pièce sera jouée dans différentes salles, tout au long de l’année. Qu’est ce qui vous a donné envie de lui assurer une telle longévité ?
C’est le public, je n’y peux rien ! (Rires). Nous, on propose des spectacles, et quand les gens n’en veulent pas, on les remet dans notre guitare, comme disait Brassens. Simplement, « Irrésistible » est un succès. Il faut dire qu’il est servi par deux comédiens d’exception, Céline Bernat et Pierre Matras, qui forment un couple tout à fait détonant sur scène, où les rôles peuvent être inversés par rapport à ce à quoi on peut s’attendre habituellement, au sein de la jalousie du couple.
C’est Fabrice Roger-Lacan, le petit-fils de Roger-Lacan, le grand psychanalyste, qui a écrit un petit bijou d’humour avec des éclats de couple assez tranchants. Les deux acteurs s’en donnent à cœur joie et le public aussi puisqu’on nous le redemande. Il tourne depuis sa création. Et ça fait plaisir !
C’est l’objectif ultime à chaque nouvelle création ?
Oui, j’adore le succès, je n’ai jamais cherché à être un artiste maudit ! (Rires).
Propos recueillis par Inès Desnot