Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.
La Passion de Jeanne d’Arc de Carl Theodor Dreyer
Le film aurait pu s’intituler Le Procès de Jeanne d’Arc, mais son titre souligne la filiation naturelle aux yeux de Dreyer entre le Christ et Jeanne de Domrémy, de même qu’Ordet en 1955 sera une autre manière de tourner cette vie de Jésus que le cinéaste danois poursuivit tout au long de sa carrière. Voici donc un « film de procès » qui se déroule presque entièrement, jusqu’à la scène finale du bûcher, dans l’enceinte du tribunal au sein duquel la jeune femme de dix-neuf ans comparaît devant ses juges le 14 février 1431. Simple et humaine, ainsi qu’elle est désignée dans un carton d’introduction, Jeanne fait face à des hommes d’église, des théologiens, des juristes qui la brocardent, la menacent (y compris de torture), usent de ruse et de mensonge.
Si le destin de la petite bergère devenue chef de guerre a été maintes fois porté à l’écran et l’héroïne interprétée par des stars (Ingrid Bergman, Jean Seberg…), la version de Dreyer et la composition de Renée Falconetti ont marqué l’histoire du cinéma. Ultime film muet du metteur en scène, La Passion de Jeanne d’Arc, sorti en 1928, use de gros plans, voire de très gros plans, sur les visages, de plongées et de contre-plongées dans un mélange paradoxal d’épure et d’expressionnisme. L’abstraction des décors et le montage jonglant avec un nombre incroyable de plans renforcent la singularité du long-métrage.
Le visage de l’humanité souffrante
Aux juges, effrayante galerie de comploteurs et de bourreaux aux allures de gargouilles, s’opposent le visage de Jeanne, sa pureté, son innocence, sa beauté. Falconetti, venue du théâtre, signe pour l’une de ses très rares incursions dans le cinéma et pour son seul premier rôle une interprétation inoubliable. D’autres talents participèrent à cette production française parmi lesquels le chef-opérateur Rudolph Maté (plus tard responsable de la photographie de Gilda de Charles Vidor ou de La Dame de Shanghai d’Orson Welles) ou l’écrivain Joseph Delteil (qui collabora au scénario) tandis que l’on aperçoit dans les seconds rôles Antonin Artaud et plus brièvement Michel Simon.
A travers le martyre de Jeanne, Carl Theodor Dreyer – cinéaste éminemment chrétien dont les œuvres principales questionnent les rapports entre la foi et la religion, la parole et l’incarnation – filme le visage de l’humanité souffrante et la possibilité de la sainteté. Son cinéma influença autant formellement que thématiquement de multiples cinéastes dont Ingmar Bergman et Andreï Tarkovski pour ne mentionner que les plus brillants et les plus évidents.
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