La 15ème édition de Passe ton Bach d’abord conclut dans la jubilation sa trajectoire originale. Celle du festival toulousain le plus créatif, le plus imaginatif, le plus déjanté aussi ! Dès sa création par Michel Brun au printemps 2008, ce week-end à la gloire du compositeur le plus universel est devenu une véritable institution de la vie musicale à Toulouse. L’édition 2023 s’achève après un long week-end d’ébullition musicale non-stop.
Vous avez dit « Brandebourgeois ?
Cette année, parmi la soixantaine de propositions de l’Ensemble Baroque de Toulouse (EBT) et des artistes invités, le défi de l’interprétation des 6 concertos Brandebourgeois, œuvre phare de J. S. Bach a constitué l’épine dorsale de la programmation. Outre les exécutions « individuelles » de chaque partition tout au long du week-end, la soirée du samedi 3 juin a réuni dans la salle capitulaire du cloître des Jacobins la foule des passionnés pour une exécution de trois de ces concertos : le n° 1 BWV 1046, le n° 4 BWV 1047 et le n° 2 BWV 1049. Ce soir-là, l’affluence est telle que certains spectateurs doivent renoncer !
En ouverture de soirée, avec sa verve et son talent de conteur, Michel Brun ne manque pas de replacer dans son contexte historique la composition de ces chefs-d’œuvre. Le rôle initial joué par le Margrave de Brandebourg justifie le titre donné, bien des années après leur composition, à ces « Six Concerts à plusieurs instruments », comme les nomme Bach lui-même en français dans le texte.
Le Concerto n° 1 en fa majeur est probablement celui qui adopte le plus délibérément le goût français. Les trois mouvements traditionnels, vif-lent-vif, du concerto sont suivis d’un cycle mêlant Menuetto, Trio et Polacca. Sous la direction passionnée de Michel Brun, le premier volet déborde d’énergie et de vitalité. Les échanges entre hautbois et violon, l’intervention raffinée du basson alternent avec la domination des deux cors naturels convoqués par le compositeur dans une partition redoutable d’exécution. Maria Antonia Riezu et Alessandro Orlando s’acquittent de ce rôle avec vaillance.
Le Concerto n° 4 en sol majeur fait appel à un duo de flûtes à bec et offre au violon solo une place prépondérante. Le premier mouvement nerveux et hautement stimulant est suivi d’un Andante chantant et d’un Allegro assai plein de ferveur. Poésie et finesse grâce au duo de flûtes Frédéric Nael et Stéphanie Cettolo ainsi qu’au violon solo de Laurence Martinaud.
Avec le n° 2 en fa majeur, Bach donne la parole à la trompette naturelle dans un registre vertigineux. Composés à l’intention de son trompettiste attitré aux possibilités extraterrestres, Gottfried Reiche, les mouvements extrêmes sont réputés injouables. Saluons l’engagement de Christophe Rostang, soliste de cette exécution, dans cette redoutable entreprise, ardemment soutenue par la direction de Michel Brun.
Apothéose finale
La clôture de cette édition de Passe ton Bach d’abord s’est traditionnellement déroulée dans une Halle aux Grains pleine de ferveur et d’enthousiasme autour des musiciens et des choristes de l’Ensemble Baroque de Toulouse, des solistes invités, tous galvanisés par le maître d’œuvre du festival, Michel Brun.
Un programme de luxe attendait les spectateurs réunis. Le trop rare Oratorio de Pâques et le célèbre Magnificat complétaient ainsi la soixantaine de concerts répartis sur les trois journées de cette quinzième édition.
Comme à son habitude pédagogique, Michel Brun ouvre cette soirée sur une sorte d’atelier de présentation des éléments essentiels, parfois des détails subtils, qui caractérisent l’art du compositeur de traduire musicalement les textes illustrés. C’est dans la partition du Magnificat que le chef de l’EBT trouve et dévoile quelques-uns des « secrets de fabrication » du compositeur. La révélation de ces subtils procédés musicaux constitue une aide précieuse à la compréhension du langage expressif de cet incroyable inventeur de musique !
L’Oratorio de Pâque ouvre ce concert de clôture. Contrairement à l’Oratorio de Noël et aux Passions, l’Oratorio de Pâques ne fait appel à aucun narrateur ni Evangéliste. L’histoire est révélée par quatre personnages : Simon Pierre (ténor), Jean (basse), Marie-Madeleine (alto) et Marie de Jacques (soprano).
Les épisodes instrumentaux et vocaux alternent, ainsi que les arias et les récitatifs, particulièrement expressifs. Si le chœur n’intervient qu’à deux reprises, les quatre voix jouent un rôle important aussi bien musicalement que sur le plan expressif. La soprano Judith Fa éclaire ses interventions de son timbre lumineux. Son duo avec la flûte traversière de Michel Brun lui-même constitue l’un des grands moments de cette exécution. La riche voix d’alto de Caroline Champy Tursun et celle bien timbrée du baryton basse Aurélien Pernay alternent avec l’intensité expressive du ténor François Rougier aussi à l’aise dans les récitatifs que dans son bel aria : « Sanfte soll mein Todeskummer » (Mon chagrin mortel peut maintenant s’adoucir). La symbolique divine des sonneries de trompettes évoquée par Michel Brun bénéficie du talent des trois musiciens convoqués ici : Serge Tizac, Patrick Pagès et Fabien Versavel. Parmi les musiciens de l’EBT, les qualités particulières du violon solo Bénédicte Pernet et du hautbois solo Xavier Miquel sont à souligner.
Le concert et le festival s’achèvent sur l’éblouissement du fameux Magnificat. La soprano Audrey Marchal vient se joindre aux quatre chanteurs solistes précédemment impliqués dans l’Oratorio de Pâques. La beauté de son timbre, la vitalité de son vibrato enrichissent les interventions solistes qui revêtent ce soir-là un relief particulier. Avec le « Quia fecit mihi magna » la basse impose son autorité alors que le ténor déploie un héroïsme impressionnant dans le fameux « Deposuit potentes », en accord avec l’analyse introductive de Michel Brun.
L’un des grands moments de cette exécution, le « Suscepit Israel », réunit l’harmonie émouvante des trois voix féminines, généreusement soulignées par la beauté et le phrasé si musical du hautbois solo. Les multiples passages choraux bénéficient, en outre, de la ferveur des chanteurs de l’EBT et la brillante participation du trio de trompettes confère aux épisodes glorieux un brio étincelant. Enfin soulignons l’enthousiasme que la direction de Michel Brun communique à l’ensemble des interprètes.
L’ovation que recueille cette prestation est à la hauteur de l’événement. Elle est suivie par l’habituelle prise de parole de son organisateur, Michel Brun, qui brosse ainsi un bilan du festival et évoque son avenir, sans en cacher les quelques incertitudes. Mais c’est avec optimisme qu’il conclut ce 15ème festival tout en remerciant les artisans de son organisation, et en particulier les bénévoles qui en sont la cheville ouvrière indispensable. Passe ton Bach d’abord 2023 s’achève, vive l’édition 2024 !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse