L’Ensemble vocal À bout de souffle, sous la direction artistique du chef d’orchestre Stéphane Delincak et du metteur en scène Patrick Abejean, présentaient le 19 avril dernier leur nouveau spectacle Sacrées histoires. Réalisée dans le cadre des Rencontres des Musiques Baroques et Anciennes d’Odyssud, cette soirée festive et imaginative, a empli l’église Saint-Pierre de Blagnac d’un public ravi de cette vision hors du commun du grand répertoire de musique sacrée.
Chaque rencontre avec l’ensemble vocal A bout du souffle (qui d’ailleurs n’en manque pas du tout !) revêt une forme différente et pleine d’invention. La prestation musicale organisée et préparée avec beaucoup de soin par Stéphane Delincak s’accompagne d’une « mise en jeu » (terme consacré) de Patrick Abejean qui met en scène la participation de chaque membre du chœur et de chaque soliste. Une spécificité de ces spectacles consiste à suggérer que les participants, acteurs-chanteurs, soient tous vêtus comme dans la vie. Cette absence d’uniformes traditionnels de concert renforce les liens avec le public et confère à l’ensemble une réjouissante diversité.
En outre, chaque épisode de ce voyage en terre sacrée appelle une disposition différente des chanteurs : soit sur scène (sur un praticable installé à cet effet) à la façon des chœurs traditionnels, soit dispersés dans la nef autour et parfois derrière les spectateurs. Tout cela vit et respire au rythme de la musique et des épisodes évoqués. D’autant plus que chaque chanteur joue un rôle individuel et réagit au texte des pièces réunies pour ce programme.
Autre audace des organisateurs, les partitions instrumentales qui soutiennent les intervention du chœur sont toutes tenues par un accordéon. Mais quel accordéon ! Angel Villard, aux commandes d’un instrument aux riches sonorités, témoigne tout au long de cette soirée une musicalité, une virtuosité, une imagination remarquables.
Quant à la direction assurée avec précision et passion par Stéphane Delincak, elle s’attache à insuffler à la fois énergie et respect musical des œuvres abordées. La succession des épisodes choisis s’écoute et se regarde comme de véritables mini-drames, palpitants, édifiants, poignants qui se jouent dans une inventivité de tous les instants. On admire le fait que tous les intervenants, choristes comme solistes, agissent sans partition, se consacrant ainsi au jeu autant qu’au chant. La programme musical comporte deux piliers consistants de ce répertoire baroque, le Magnificat RV 610 d’Antonio Vivaldi et le Reniement de Saint-Pierre H 424 de Marc-Antoine Charpentier entre lesquels s’intercalent quelques extraits d’œuvres significatives d’une belle intensité.
La Magnificat de Vivaldi qui ouvre le spectacle est déclamé avec un dynamisme chaleureux et une différenciation assumée des différents versets qui le composent. Chaque chanteur s’implique avec ardeur dans cette succession pleine de contrastes et de couleurs. Le grand et célèbre chœur initial de la Passion selon Saint-Jean de Johann Sebastian Bach, « Herr, unser Herrscher », prolonge encore la ferveur initiale. Notons que pour cet épisode les chanteurs se tournent résolument vers l’autel et la croix qui le surplombe.
Le Reniement de Saint-Pierre de Marc Antoine Charpentier constitue le cœur tragique de ce programme. Dans cette œuvre, écrite pour les célébrations liturgiques de Pâques, s’exprime une piété sincère, mais théâtralisée. Elle décrit ce moment poignant de la Passion du Christ où Pierre, son plus fidèle apôtre, déclare par trois fois ne pas connaître Jésus pour ne pas être arrêté lui aussi. Ce que Jésus lui avait justement prédit. Trois chanteurs-acteurs incarnent les trois personnages principaux. On retrouve l’excellent baryton au timbre et à la diction parfaitement maîtrisés Philippe Estèphe dans le rôle de Jésus. Pierre est chanté et joué par l’impressionnant ténor Bastien Raimondi : une projection brillante, un ambitus sans limite, un parfait contrôle du souffle, voici un talent à suivre. La servante bénéficie de la fraîcheur vocale d’une séduisant luminosité de la soprano Cécile Piovan. Signalons encore le soin apporté par le chœur et les solistes à la prononciation française du latin qui avait cours à cette époque.
Quelques extraits des émouvants Stabat Mater de Giovanni Battista Pergolesi et d’Antonio Vivaldi, encore une fois magnifiquement accompagnés par l’accordéon d’Angel Villard, précèdent le Dies Irae de Michel-Richard Delalande qui bénéficie également du grand talent commun des solistes. En particulier, le chant du ténor s’élève jusqu’à la tessiture parfaitement en situation de haute-contre à la française.
Quelques vignettes surprenantes mais bienvenues se glissent entre les œuvres principales. On entend ainsi deux pièces de Vivaldi mise en situation par l’accordéon. L’une évoque comme une « prémonition » du bal musette que le prêtre roux aurait peut-être inventé ! L’autre reprend le premier mouvement de l‘Hiver, extrait des Quatre Saisons, dans lequel l’accomplissement musical d’Angel Villart stupéfie. Son exécution irrésistible et virtuose déclenche d’ailleurs une salve d’applaudissements spontanés. Et puis, à la suite des Stabat Mater de Pergolesi et de Vivaldi, un extrait de celui de Francis Poulenc vient s’immiscer. Comme un clin d’œil du compositeur qui fut qualifié par Claude Rostand de « moine et voyou ».
L’accueil enthousiaste du public se prolonge jusqu’à une reprise de l’immortel choral d’ouverture de la Passion selon Saint-Jean de Bach le grand, par le chœur occupant tout l’espace de la nef. Décidemment, avec A bout de souffle l’imagination est au pouvoir !
Serge Chauzy
une chronique de ClassicToulouse