Le 16 avril dernier, la salle lyrique de la ville recevait de nouveau Les Sacqueboutiers, mais cette fois avec un vivifiant programme associant la musique ancienne et… le Jazz. Dans cette confrontation originale et amicale baptisée « Le Jazz et la Pavane », les membres de l’ensemble de cuivres anciens de Toulouse se mêlaient au quintet de Jazz de Philippe Léogé. Ce dialogue inattendu a connu cet après-midi dominical un succès considérable de la part d’un public visiblement séduit par la démarche.
L’idée pouvait paraitre un peu folle. Faire cohabiter des musiques que séparent quatre siècles d’évolution, cela tient vraiment du défi. Jazz et musique ancienne développent des pratiques instrumentales, des sonorités, des styles a priori bien éloignés. C’est sans compter sur la chaîne subtile mais solide qui relie la musique de la Renaissance au Jazz et qui repose sur la pratique de l’ornementation pour la première et l’improvisation qui constitue la sève créatrice du second. La philosophie de cette démarche consiste alors à solliciter de la part des jazzmen leurs commentaires musicaux sur les « standards » de la musique ancienne !
Le grand jazzman et pianiste Philippe Léogé a conçu pour cela une série de grilles d’improvisation basées sur les motifs issus du riche répertoire de musique ancienne. Chaque pièce interprétée naît ainsi d’un original, joué par les musiciens de l’ensemble Les Sacqueboutiers, Jean-Pierre Canihac et Lluis Coll i Truls, cornets à bouquin, Daniel Lassalle, sacqueboute, Yasuko Uyama-Bouvard, orgue et clavecin, et Florent Tisseyre, percussions, tous experts en matière de musique ancienne et en particulier en ornementation dans le style Renaissance. Le relai est alors pris par Philippe Léogé au piano et ses compères, tous virtuoses impressionnants dans leur domaine : Claude Egéa, trompette, Jules Boittin, trombone, Denis Léogé, contrebasse et Fabien Tournier, batterie et percussions.
Comme un hymne à la liberté du jeu musical, la fusion des deux mondes s’avère particulièrement jubilatoire. Une étonnante « Bombarde », Credo de la messe du manuscrit d’Apt, datant du XIVème siècle, ouvre la séance sur une sorte de musique d’avant-garde, truffée de contretemps, de hoquets, sur des harmonies pleines d’audace que les jazzmen triturent avec délice ! Une série de duos instrumentaux paraphrasent ensuite les fameuses « Ricercadas » de l’Espagnol Diego Ortiz, actif en plein XVIème siècle. Tour à tour, sacqueboute et trombone, cornet et trompette, puis cornet et sacqueboute, et enfin trompette et trombone, échangent et accordent leurs humeurs. Diminutions et improvisations délirent avec nostalgie sur le villancico de Juan Vasquez « Con que la lavaré », un grand moment d’émotion d’une douloureuse douceur. Instruments anciens et modernes conjuguent leurs complémentarités sonores avec finesse et complicité.
Le duo clavecin-piano (avec intervention de l’orgue) convient parfaitement à la stupéfiante « Toccata settima » de Michelangelo Rossi que Yasuko Uyuama-Bouvard a adoptée comme spécialité. Son chromatisme exacerbé, d’un stupéfiant modernisme, donne à Philippe Léogé les outils d’une improvisation débridée dans laquelle le piano semble prolonger les délires du clavecin dans un dialogue émouvant. Débridé aussi, le duo entre le cornet et la trompette de « Su la Cetra amorosa », de Tarquinio Merula, l’est assurément ! Comme une dispute entre les deux instruments que l’emballement de la batterie finit par calmer après une improvisation ébouriffante du trombone…
Après les très belles improvisations du duo trombone-sacqueboute sur la Passacaille et Ciaccona d’Andrea Falconiero, tous les musiciens se retrouvent autour de la célèbre « Ensalada » intitulée « El Fuego », de Mateo Flecha, l’un des tubes incontournables des Sacqueboutiers. Les instruments miment les voix dans un jeu éblouissant de questions-réponses où se mêlent compétitions simulées et humour.
L’ovation que reçoit cette succulente association musicale obtient un retour des musiciens pour un bis qui prolonge le plaisir du dialogue. L’extrait des Symphoniae Sacrae d’Heinrich Schütz « Es steh Gott auf », SWV 356, complète ce panorama vertigineux.
Par ailleurs, Jean-Pierre Canihac dévoile la raison pour laquelle le cornettiste Lluis Coll i Truls a rejoint l’effectif des Sacqueboutiers au dernier moment. Un problème d’herpès à la lèvre l’a récemment affecté. Inquiet pour la suite, et ne souhaitant pas annuler le concert, il a fait appel à son collègue catalan pour le « soutenir » si nécessaire. Leur participation commune a finalement débouché sur une belle complémentarité instrumentale.
Dans ce programme abondamment applaudi, l’ardeur avec laquelle les musiciens communient dans la même joie d’échanger est communicative. Un grand bravo à tous avec une mention spéciale à Philippe Léogé pour ses arrangements subtils et magnifiquement musicaux ! A coup sûr, Claude Nougaro, l’inventeur du rapprochement « Le Jazz et la Java » qui a inspiré les musiciens, aurait apprécié cet autre mariage baptisé « Le Jazz et la Pavane », en souvenir de ce troubadour des temps modernes…